Où, quand, combien? La RATP et ses syndicats disposent depuis peu d’un relevé original des expositions aux radiofréquences auxquelles sont soumis conducteurs et usagers de la ligne 3 du métropolitain parisien. Pour la première fois, ces relevés rendent compte à la fois de la puissance des ondes émises simultanément par les téléphones portables des voyageurs et par les matériels servant à la communication entre la «tour de contrôle» et les rames, et de leurs variations dans le temps et l’espace. «L’exposition au niveau du poste de travail n’avait jamais été évaluée jusqu’à présent», se félicite François-Xavier Arouls, du syndicat Sud. Car là où la RATP dispose, conformément aux préconisations de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) de mesures réalisées «en statique» et sur des durées de 6 minutes minimum, ces relevés effectués à la demande du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été menés «en dynamique», c’est-à-dire depuis les cabines de conduite et sur plusieurs trajets successifs.
Un pic entre les stations
Les résultats ainsi obtenus montrent que les valeurs-limites d'exposition du public, fixées par le décret du 3 mai 2002, (qui établit les niveaux de champs électriques maximums à 61 volts par mètre) sont largement respectées. «Sur la majorité des stations et des inter-stations [entre les stations], on tourne entre 3 et 5 V/m, avec des pics à 8 V/m», précise François-Xavier Arouls. «On est bien en deçà des 61 V/m, qu’on n’atteint jamais. Mais ce sont des valeurs très supérieures à la résolution du Conseil de l’Europe, qui préconise de fixer un seuil de prévention pour les niveaux d’exposition à long terme ne dépassant pas 0,6 V/m», rappelle Etienne Cendrier, de l’association Robin des toits.
Seuils respectés
La direction de la RATP, qui considère que cette étude «n’a pas de valeur par rapport aux mesures réalisées dans le cadre du protocole de l’AFNR», tempère les résultats obtenus. Elle fait notamment valoir que si un pic de 8 V/m a bien été relevé lors d’une mesure réalisée entre deux stations, «en moyenne, dans l’inter-station, ce taux s’établit à 0,91 V/m». Soit à nouveau très en deçà des valeurs règlementaires, «et on le restera sensiblement avec le passage à la 3G et à la 4G. Toutes les simulations le démontrent».
Réglementation obsolète
Ces assurances n’apaisent pas les inquiétudes de Sud, alors que le déploiement des antennes-relais servant aux technologies G3 et G4 dans les couloirs et tunnels parisiens est prévu à horizon 2016. «L’ANFR a calculé que cela aurait pour effet d’augmenter de 50% en moyenne les expositions», rappelle François-Xavier Arouls, qui s’inquiète d’une réglementation exclusivement fondée sur les effets thermiques de l’exposition aux ondes. «Il s’agit d’une réglementation obsolète, qui exclut les effets athermiques[1]», regrette-t-il. En 2013, des rats exposés exposé à des «signaux faibles» par une équipe mixte Ineris-Université de Picardie Jules Verne avaient mis en lumière des effets biologiques à long terme des radiofréquences, à la fois sur le sommeil, la régulation thermique et le comportement alimentaire des animaux.
La sécurité en question?
Les propos de Dominique Belpomme[2], invité par le CHSCT, ont également contribué à envisager les résultats de ces mesures sous un jour nouveau. «Il évoque notamment des troubles de la concentration ou des pertes de mémoire immédiate consécutifs à ces expositions aux radiofréquences, énumère François-Xavier Arouls. Ce qui est très important dans notre métier, qui est en lien avec la sécurité.» Entre la vigilance et l’alerte, il y a toutefois un fossé: «Nous n’avons recensé aucun cas d’alerte sanitaire de ce type parmi les conducteurs et il ne faudrait pas que, dans un contexte de meilleure compréhension de l’environnement dans lequel nous évoluons, se développent des peurs irrationnelles», tempère le syndicaliste, qui souhaite une meilleure formation de la médecine du travail à ces phénomènes. «Nous ne sommes pas anti-antenne, précise-t-il d’ailleurs. Notre but, c’est d’obtenir une diminution de l’exposition des travailleurs et des voyageurs, en installant plus d’antennes moins fortes, au lieu de quelques-unes très puissantes, et ce avec la même qualité de service.»
Principe «Alara»
Interrogée sur la mise en place d’une surveillance préventive des éventuelles conséquences sanitaires de ces expositions prolongées des conducteurs aux radiofréquences, la direction de la RATP évoque le principe «Alara»[3]: «On fait tout pour que le niveau des émissions soit contenu au maximum». Sans donner davantage de détails sur les moyens employés, ni sur les éventuels réseaux de surveillance mis en place pour surveiller ces phénomènes.
Les campagnes de mesures devraient se poursuivre au cours des prochains mois, pour aboutir à l’établissement d’une «cartographie zéro», qui permettra de comparer les niveaux d’émission avec ceux qui auront cours après le déploiement de la 3G et de la 4G. Ces mesures seront communiquées à l’ANFR dans le cadre de la constitution du référentiel national dressé pour suivre les «points atypiques»[4].
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[1] Les effets thermiques (augmentation de la température comme en cas de fièvre) sont bien documentés du point de vue scientifique. Ils ne se manifestent qu'à partir d'une certaine intensité de rayonnement -une intensité qui n'est généralement pas présente dans l'environnement. On observe cependant aussi des effets biologiques en dessous de ce seuil: on les appelle effets athermiques. Source: office fédéral de l’environnement suisse.
[2] Dominique Belpomme: cancérologue parisien, qui a ouvert une consultation destinée aux patients atteints du syndrome d'intolérance aux champs électromagnétiques
[3] «As Low As Reasonably Achievable»; qui se traduit en français par «Aussi bas que raisonnablement possible».
[4] La loi Grenelle II prévoit un recensement national des points atypiques du territoire qui sont caractérisés par des niveaux d’exposition aux ondes sensiblement plus élevés que les niveaux d’exposition moyens observés à l’échelle nationale.