On est encore loin des émetteurs de la 2G et 3G (38 000 pour chacune). Mais comme le récent rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) a estimé que l’exposition aux ondes électromagnétiques pouvait provoquer des modifications biologiques sur le corps mais que les études scientifiques n’avaient pas démontré « d’effet avéré » sur la santé, les opérateurs en profitent pour couvrir les toits parisiens à marche forcée.
La règle est la même partout : il n’y a pas d’entraves possibles à l’implantation d’antennes-relais. Les collectifs de citoyens hostiles aux antennes peinent à se faire entendre sauf aux abords des écoles.
Dans plusieurs communes, des chartes ont vu le jour. Elles se contentent bien souvent d’un simple rappel à la loi.
« Un simulacre de démocratie »
Le conseil de Paris a adopté en octobre 2012 une nouvelle charte [PDF] avec les opérateurs mobiles (Orange, SFR, Bouygues, Free). Compromis entre l’exposition aux ondes et la qualité de la couverture, elle a fixé un niveau maximal d’exposition de 5 volts par mètre (V/m) pour la 2G et la 3G, et de 7 V/m pour la 4G (la loi française fixe des valeurs limites comprises entre 41 et 61 V/m).
Les Parisiens sont mieux protégés qu’ailleurs. Loin cependant des 0,6 V/m défendus par les associations. Cette charte est le fruit d’une négociation du « donnant donnant ». Les opérateurs promettent de se soucier de « l’intégration paysagère des installations » et assurent le financement des prises de mesures souhaitées par les collectivités ou les citoyens. En contrepartie, la municipalité doit donner un avis sous quatre mois à toute demande d’installation et « faciliter la recherche d’implantations d’antennes dans la capitale ».
La ville de Paris a choisi d’introduire du donnant-donnant : elle a permis de réduire l’exposition aux ondes. Mais en contrepartie, elle s’est engagée à faciliter l’implantation des antennes. Et notamment à répondre sous quatre mois à toute demande des opérateurs.
Les riverains doivent théoriquement être associés mais pour Etienne Cendrier, de Robin des toits, « c’est un simulacre de démocratie. On donne l’illusion que les avis sont pris en compte, mais il n’en est rien ».
Lorsqu’un opérateur veut installer une antenne, il prend contact avec les bailleurs ou propriétaires potentiels et remet un dossier à l’Agence de l’écologie urbaine, qui dépend de la mairie de Paris. Celle-ci envoie une fiche de synthèse à la mairie d’arrondissement qui a deux mois pour donner un avis. L’absence de réponse est considérée comme un avis favorable.
A Paris, nombre d’édiles avalisent systématiquement les demandes. Les « récalcitrants » tentent de s’opposer tant bien que mal.
Les maires n’ont plus aucun pouvoir
Célia Blauel, conseillère de Paris EELV dans le XIVe, témoigne :
« J’essaye de faire durer les dossiers, je demande toutes les simulation de champs, je soutiens les collectifs dans leurs tentatives de dialogue avec les opérateurs... »
Souvent en vain. Car les maires n’ont plus aucun pouvoir. L’an passé, le Conseil d’Etat leur a interdit d’invoquer le principe de précaution, estimant qu’ils dépassaient leur champ de compétence. Désormais, ils sont seulement questionnés au regard du code de l’urbanisme.
Célia Blauel :
« Avant, on faisait de l’information locale pour chaque projet. Mais avec la 4G et le développement de Free, c’est à marche forcée. Il y a tellement de demandes que je donne un avis défavorable systématiquement. »
Sa manière à elle de se révolter contre ce qu’elle considère comme de mauvaises pratiques : cette année, dans son arrondissement, Free a commencé l’installation d’une antenne pendant les vacances de février alors même qu’une réunion publique avec les habitants était prévue au retour des congés...
Certains arrondissements accumulent les dossiers
Quand le maire rend un avis négatif, le dossier est renvoyé en Commission de concertation de la téléphonie mobile (CCTM), mise en place par la charte passée entre la municipalité parisienne et les opérateurs.
Certains arrondissements, comme le XIVe ou le XVIIIe, accumulent les dossiers et se sont retrouvés dans des réunions uniquement consacrées à leur cas. « Une manière de les stigmatiser », s’insurge Janine Le Calvez, président de l’association Priartem.
Le fonctionnement de la CCTM n’est pas exempt de tout reproche. « Elle n’a de concertation que le nom, c’est une simple chambre d’enregistrement », enrage Janine Le Calvez.
Rassemblant les mairies concernées, les associations et les opérateurs sous l’autorité de Mao Peninou, adjoint au maire de Paris, cette commission se veut « un lieu de dialogue et d’échanges ». On y discute bien, mais les demandes finissent presque toutes par aboutir.
« Nous ne sommes pas là pour passer en force », rassure-t-on à la Fédération française des télécoms. Pas la peine, la municipalité le fait à sa place : « Nos avis sont toujours bananés par la mairie de Paris », lâche Célia Blauel.
« Les associations et même le monde politique n’ont plus leur mot à dire », insiste Janine Le Calvez.
20% des dossiers non acceptés
Au début de l’été, deux réunions étaient organisées pour évoquer l’installation d’une centaine d’émetteurs contestés dans la capitale. La première a tourné court lorsque les associations se sont rendu compte du temps accordé à chaque dossier. « Entre deux et quatre minutes, c’est de l’implantation forcée », fulmine encore Etienne Cendrier, porte-parole des Robins des toits.
« Nous avions beaucoup de dossiers, à cause de la 4G et des délais d’engagement », confirme Mao Peninou. Depuis cet automne, il assure que le rythme s’est apaisé. Mais les réunions se déroulent en l’absence des associations « spécialisées », Priartem, Robins des toits et Agir pour l’environnement. « On n’aime pas la politique de la chaise vide, mais il n’y a plus rien à discuter dans ces réunions, tous les dossiers passent », regrette Janine Le Calvez.
Cet été, seuls une quinzaine de dossiers sur la centaine « discutés » ont été reportés. « En moyenne, 20% des dossiers ne sont pas acceptés », assure Mao Peninou, le président de la commission de concertation. « Ils sont renvoyés pour un complément d’information ou ajournés quand trop proches des seuils fixés par la charte. Mais ce sont rarement des refus définitifs », confesse-t-il. Peu d’espoir donc qu’un projet d’implantation échoue. « Nous sommes liés à la loi qui impose l’obligation de couverture par les opérateurs », rappelle Mao Peninou.
De fait, la municipalité parisienne soutient le déploiement des antennes-relais. Elle a proposé ses toits pour héberger des récepteurs. Une mise à disposition contre espèces sonnantes et trébuchantes, de 10 000 à 20 000 euros par an et par antenne. « Deux à trois millions d’euros annuels pour la mairie », estime Etienne Cendrier, des Robins des toits.
« Les locataires n’ont pas leur mot à dire »
La mairie d’arrondissement, avant de rendre son avis, peut organiser une réunion publique ou une concertation avec les riverains. Elle n’y est pas forcée. La seule obligation fixée est d’informer les citoyens du projet d’implantation, a minima sur le site Internet.
Les citoyens peuvent-ils s’opposer à une installation sur leur toit ? Pas vraiment. Mao Peninou :
« Les propriétaires oui, et encore. »
L’unanimité des copropriétaires est normalement requise pour tout projet d’implantation. Les locataires, eux, n’ont pas leur mot à dire. Et ils sont nombreux à Paris, notamment dans le logement social, pléthorique et cible de choix pour accueillir des antennes-relais. Car dans la charte, la municipalité parisienne s’engage à « faciliter l’accès à l’ensemble des bâtiments de son patrimoine ».
En août 2009, Jean-Claude Puybaret remportait pourtant une incroyable bataille. Le tribunal de grande instance de Créteil interdisait l’installation d’une antenne sur le toit de son immeuble, avenue d’Italie (XIIIe arrondissement), au nom du principe de précaution. « Elle devait être installée à dix mètres de mon lit ! » se souvient le septuagénaire.
Mais peu de citoyens sont prêts à pousser leur combat jusqu’aux tribunaux, une procédure longue et coûteuse. Que reste-t-il alors à ceux qui redoutent un futur scandale sanitaire semblable à l’amiante ? « La mobilisation citoyenne », répond Janine Le Calvez de Priartem. « Le blocage physique », pensent les Robins des toits. Célia Blauel, l’élue écolo du XIVe, espère elle que les oppositions ici et là suscitent un débat national.
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Source : http://www.rue89.com/2013/11/18/a-paris-limplantation-dantennes-4g-a-marche-forcee-247464