Nous avions consacré un premier sujet au cas troublant de cette Côte-d’Orienne qui fuit les ondes. Nous sommes partis à sa rencontre, afin de mieux comprendre sa situation.
En passant le col de la Croix haute, frontière entre l’Isère et la Drôme, faisant face à ces montagnes magnétiques, on comprend que la route peut mener au milieu de nulle part. A Saint-Julien-de-Beauchêne, direction le microscopique hameau de Beaumugne. Une ascension sur une route défoncée, quelques éboulis de cailloux blancs pour arriver dans un endroit improbable. Improbable mais beau, coincé par la montagne. Dans la roche qui surplombe quelques maisons, une grotte. Dans la grotte, des habitants…
Pas des nostalgiques de Cro-Magnon. Mais des électrohypersensibles, qui vivent « protégés » des champs électromagnétiques. Loin de la Wi-fi, du Wi-max et des ondes GSM. Donc loin de tout, en somme. Dans ce trou à rats, Anne Cautain a trouvé une place (lire également nos éditions du jeudi 16 juin). Cette Dijonnaise est malade. Affectée par des troubles peu communs mais qui semblent se répandre (lire par ailleurs).
Les électrohypersensibles sont refoulés de la société. Les ondes qui passent partout les déstabilisent, les affectent, les font souffrir. Et pas de réponse médicale. La solution ? L’éloignement, la mise en quarantaine et la vie – ou ce qu’il en reste – dans des zones blanches (c’est-à-dire sans ondes). Un terrible pied de nez au moment où le plus grand nombre d’entre nous réclame du haut débit partout…
Pour accéder à Anne, il faut emprunter un terrain privé. Henri est le propriétaire des lieux. Un détonnant prof dans une école d’architecture, qui a pris fait et cause pour ces personnes. Une échelle métallique, une corde qui serpente dans la roche, et quelques pas plus haut, l’entrée de la grotte. Un lieu communal, squatté dans la tolérance… Anne est au fond. Recluse. Dans le noir, éclairée à la bougie. « Je ne peux pas rester trop longtemps à l’entrée de la grotte, car depuis mars, même ici, des ondes passent… » Alors l’entretien se fera dans la « pièce de vie ».
Au sol, un plancher de bois qui isole de l’humidité, une petite table et sa toile cirée, et trois lits disposés en rang d’oignons. « Et oui, on vit à trois ici. Vous imaginez la promiscuité… »
En guise de toit, pour isoler de la roche, une bâche tendue avec quelques bambous. Un réveil matin fait front dans une niche naturelle. Histoire de rappeler à Bernadette (Paris) et Gloria (Alsace), ses colocataires, la notion du temps…
Et son “enfer” débute…
Anne a 55 ans. Et une vie de merde. Dans sa vraie vie d’avant, elle a été horticultrice, puis agent de service à la Cité universitaire de Nice. Elle a deux enfants, de deux papas différents. Et des souvenirs. « Vous savez, j’avais une vie normale et ordinaire avant. Un boulot, un appartement à Nice. J’étais bien. » Sa vie bascule en janvier 2009. « Sur mon lieu de travail, j’ai commencé par avoir des raideurs dans la nuque et une rigidité au niveau de la tête. Je ne comprenais pas. Mon médecin a répondu à mon mal à coups de paracétamol. Sans effet… Les maux ont été de plus en plus importants. Toujours sur mon lieu de travail. La Wi-fi avait été installée six mois avant. Mais ce n’est que plus tard que j’ai fait le lien… »
Au fur et à mesure que les jours passent, Anne a l’impression que sa « tête va exploser ». Cela devient invivable même dans son appartement, entouré d’antennes de téléphonie mobile. « J’ai fait des recherches et j’ai trouvé des possibles explications avec les ondes. Mais pas de certitudes. » Anne déménage. Mais ne trouve pas sa place. Dans les caves, dans les voitures. Sa nouvelle vie commence. Son “enfer” débute.
En mars, elle part consulter à Paris un spécialiste. « Le docteur Milbert connaissait ces problèmes. Pour elle, c’était évident, et les examens, dont un scanner de l’encéphale, ont confirmé mon problème. La prescription ? Une installation en zone blanche. » Et comme un premier rassemblement d’électrohypersensibles s’était déjà tenu dans le hameau de Beaumugne, elle se dirige, avec sa fille aînée âgée de 25 ans, Laure, dans les Hautes-Alpes. La grotte l’attendait.
« Je suis arrivée au mois d’août 2009. Il y avait urgence. Ma peau brûlait », raconte celle que beaucoup prennent pour une « folledingue ». Petit à petit, une forme de vie s’est installée. Un coin cuisine à l’entrée de la caverne, délimité par des montants en bois et du plastique, un réchaud électrique, et des armoires pour les conserves. Au sol, une passerelle qui mène au fond de la grotte. « Il y a pas mal de remontées d’eau ici, vous savez. » Quelques rangements isolés pour tenir au sec ses affaires, et la fin de la cavité qui donne sur la chambrée. 12 à 13 degrés en permanence. Sauf l’hiver, où les températures ont parfois chuté à moins trois degrés. « On se couche plus tôt quand il fait froid. Et on se glisse sous un tas de couvertures… » La douche est chez Henri, tout comme les toilettes. Un improbable camping.
Ses collocs sont arrivées en 2010. Bernadette, par exemple, était hôtesse de l’air. Elle a fait l’Ecole du Louvres et un jour, sa vie a basculé aussi. Elle devait rester ici quelques jours, pour se « décharger ». Elle n’a jamais pu rentrer chez elle…
Anne est de plus en plus faible coincée dans sa roche ruisselante. Elle a perdu 14 kg depuis son installation dans la grotte. Alors elle espère, mais sans se plaindre, que le préfet l’aidera à s’installer non loin de là dans une maison de l’ONF, située en zone blanche. « J’ai le sentiment que ma vie d’avant est terminée. J’en ai fait le deuil. Je dois faire avec et essayer de trouver un nouveau fonctionnement. Je sais que c’est bizarre et qu’on me prend pour une folle. Mais je vous assure que je souffre. Je ne demande qu’à sortir de ce trou. Ce n’est pas une vie. Personne ne peut vivre dans ces conditions par choix… » Alors Anne et sa bande, des agités du bocal ? Pas facile de répondre. En revanche, un constat : Anne est en mauvais état. Usée par ses conditions précaires. Et donc en grand danger.
« Je me sens cobaye »
Sa maladie présumée, aujourd’hui anecdotique sur le front des pathologies, sera-t-elle un jour reconnue ? Peut-être, car les révélations sur les dangers sanitaires du téléphone portable, ne sont certainement pas toutes dévoilées aujourd’hui. En attendant, Anne, soutenue au quotidien par sa grande fille, reste dans son trou. Sans vie sociale, sans travail ni loisirs. « Je me sens cobaye. Cobaye, mais vivante et pas abattue. »
Anne Cautain, condamnée à l’évitement de la société, exclue de la technologie bien malgré elle, est retournée au fond de sa grotte après notre rencontre. Les joues rougies par les quelques pas qu’elle a accepté de faire dehors et l’exposition aux ondes. Ce soir elle va encore se coucher tôt. Et espérer des jours meilleurs. Pour ne pas crever ici.
En passant le col de la Croix haute, frontière entre l’Isère et la Drôme, faisant face à ces montagnes magnétiques, on comprend que la route peut mener au milieu de nulle part. A Saint-Julien-de-Beauchêne, direction le microscopique hameau de Beaumugne. Une ascension sur une route défoncée, quelques éboulis de cailloux blancs pour arriver dans un endroit improbable. Improbable mais beau, coincé par la montagne. Dans la roche qui surplombe quelques maisons, une grotte. Dans la grotte, des habitants…
Pas des nostalgiques de Cro-Magnon. Mais des électrohypersensibles, qui vivent « protégés » des champs électromagnétiques. Loin de la Wi-fi, du Wi-max et des ondes GSM. Donc loin de tout, en somme. Dans ce trou à rats, Anne Cautain a trouvé une place (lire également nos éditions du jeudi 16 juin). Cette Dijonnaise est malade. Affectée par des troubles peu communs mais qui semblent se répandre (lire par ailleurs).
Les électrohypersensibles sont refoulés de la société. Les ondes qui passent partout les déstabilisent, les affectent, les font souffrir. Et pas de réponse médicale. La solution ? L’éloignement, la mise en quarantaine et la vie – ou ce qu’il en reste – dans des zones blanches (c’est-à-dire sans ondes). Un terrible pied de nez au moment où le plus grand nombre d’entre nous réclame du haut débit partout…
Pour accéder à Anne, il faut emprunter un terrain privé. Henri est le propriétaire des lieux. Un détonnant prof dans une école d’architecture, qui a pris fait et cause pour ces personnes. Une échelle métallique, une corde qui serpente dans la roche, et quelques pas plus haut, l’entrée de la grotte. Un lieu communal, squatté dans la tolérance… Anne est au fond. Recluse. Dans le noir, éclairée à la bougie. « Je ne peux pas rester trop longtemps à l’entrée de la grotte, car depuis mars, même ici, des ondes passent… » Alors l’entretien se fera dans la « pièce de vie ».
Au sol, un plancher de bois qui isole de l’humidité, une petite table et sa toile cirée, et trois lits disposés en rang d’oignons. « Et oui, on vit à trois ici. Vous imaginez la promiscuité… »
En guise de toit, pour isoler de la roche, une bâche tendue avec quelques bambous. Un réveil matin fait front dans une niche naturelle. Histoire de rappeler à Bernadette (Paris) et Gloria (Alsace), ses colocataires, la notion du temps…
Et son “enfer” débute…
Anne a 55 ans. Et une vie de merde. Dans sa vraie vie d’avant, elle a été horticultrice, puis agent de service à la Cité universitaire de Nice. Elle a deux enfants, de deux papas différents. Et des souvenirs. « Vous savez, j’avais une vie normale et ordinaire avant. Un boulot, un appartement à Nice. J’étais bien. » Sa vie bascule en janvier 2009. « Sur mon lieu de travail, j’ai commencé par avoir des raideurs dans la nuque et une rigidité au niveau de la tête. Je ne comprenais pas. Mon médecin a répondu à mon mal à coups de paracétamol. Sans effet… Les maux ont été de plus en plus importants. Toujours sur mon lieu de travail. La Wi-fi avait été installée six mois avant. Mais ce n’est que plus tard que j’ai fait le lien… »
Au fur et à mesure que les jours passent, Anne a l’impression que sa « tête va exploser ». Cela devient invivable même dans son appartement, entouré d’antennes de téléphonie mobile. « J’ai fait des recherches et j’ai trouvé des possibles explications avec les ondes. Mais pas de certitudes. » Anne déménage. Mais ne trouve pas sa place. Dans les caves, dans les voitures. Sa nouvelle vie commence. Son “enfer” débute.
En mars, elle part consulter à Paris un spécialiste. « Le docteur Milbert connaissait ces problèmes. Pour elle, c’était évident, et les examens, dont un scanner de l’encéphale, ont confirmé mon problème. La prescription ? Une installation en zone blanche. » Et comme un premier rassemblement d’électrohypersensibles s’était déjà tenu dans le hameau de Beaumugne, elle se dirige, avec sa fille aînée âgée de 25 ans, Laure, dans les Hautes-Alpes. La grotte l’attendait.
« Je suis arrivée au mois d’août 2009. Il y avait urgence. Ma peau brûlait », raconte celle que beaucoup prennent pour une « folledingue ». Petit à petit, une forme de vie s’est installée. Un coin cuisine à l’entrée de la caverne, délimité par des montants en bois et du plastique, un réchaud électrique, et des armoires pour les conserves. Au sol, une passerelle qui mène au fond de la grotte. « Il y a pas mal de remontées d’eau ici, vous savez. » Quelques rangements isolés pour tenir au sec ses affaires, et la fin de la cavité qui donne sur la chambrée. 12 à 13 degrés en permanence. Sauf l’hiver, où les températures ont parfois chuté à moins trois degrés. « On se couche plus tôt quand il fait froid. Et on se glisse sous un tas de couvertures… » La douche est chez Henri, tout comme les toilettes. Un improbable camping.
Ses collocs sont arrivées en 2010. Bernadette, par exemple, était hôtesse de l’air. Elle a fait l’Ecole du Louvres et un jour, sa vie a basculé aussi. Elle devait rester ici quelques jours, pour se « décharger ». Elle n’a jamais pu rentrer chez elle…
Anne est de plus en plus faible coincée dans sa roche ruisselante. Elle a perdu 14 kg depuis son installation dans la grotte. Alors elle espère, mais sans se plaindre, que le préfet l’aidera à s’installer non loin de là dans une maison de l’ONF, située en zone blanche. « J’ai le sentiment que ma vie d’avant est terminée. J’en ai fait le deuil. Je dois faire avec et essayer de trouver un nouveau fonctionnement. Je sais que c’est bizarre et qu’on me prend pour une folle. Mais je vous assure que je souffre. Je ne demande qu’à sortir de ce trou. Ce n’est pas une vie. Personne ne peut vivre dans ces conditions par choix… » Alors Anne et sa bande, des agités du bocal ? Pas facile de répondre. En revanche, un constat : Anne est en mauvais état. Usée par ses conditions précaires. Et donc en grand danger.
« Je me sens cobaye »
Sa maladie présumée, aujourd’hui anecdotique sur le front des pathologies, sera-t-elle un jour reconnue ? Peut-être, car les révélations sur les dangers sanitaires du téléphone portable, ne sont certainement pas toutes dévoilées aujourd’hui. En attendant, Anne, soutenue au quotidien par sa grande fille, reste dans son trou. Sans vie sociale, sans travail ni loisirs. « Je me sens cobaye. Cobaye, mais vivante et pas abattue. »
Anne Cautain, condamnée à l’évitement de la société, exclue de la technologie bien malgré elle, est retournée au fond de sa grotte après notre rencontre. Les joues rougies par les quelques pas qu’elle a accepté de faire dehors et l’exposition aux ondes. Ce soir elle va encore se coucher tôt. Et espérer des jours meilleurs. Pour ne pas crever ici.