De loin, l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques fleure bon la paranoïa, l’hypocondrie, la pure folie mentale. C’est du moins l’image qui en est souvent véhiculée. La semaine dernière, pour la toute première fois, un tribunal français a pourtant reconnu l’existence de ce syndrome. Marquant ainsi une vraie victoire juridique pour les électrosensibles. Mais il reste encore à convaincre les citoyens sceptiques et les politiques.
Dans Better Call Saul, Saul Goodman, l’exubérant avocat de la série dérivée de Breaking Bad, outre ses contentieux avec des caïds de la drogue, doit s’occuper de son frère Chuck. Ce dernier, un quinquagénaire tremblotant, vit reclus dans une maison sans électricité, sans Wi-Fi et sans téléphone portable, souffrant d’un syndrome peu connu : l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques (EHS). Présentée comme loufoque, cette maladie n’est pas qu’une coquetterie narrative. Il existe, en France et dans le monde, des personnes et même des communautés d’électrosensibles, nichées dans les campagnes, loin des espaces urbains survoltés, qui éprouvent diverses pathologies : maux de tête, insomnies, tachycardie… Des symptômes qui sont liés, assurent-ils, à l’exposition aux champs électromagnétiques émis par les technologies.
La justice française a abondé dans leur sens lundi de la semaine dernière, en reconnaissant pour la première fois un handicap grave dû à l’électrosensibilité, ainsi que le rapporte mardi l’association Robin des toits, qui milite pour une meilleure reconnaissance des risques liés aux technologies. « Il s’agit d’un grand pas en avant pour la reconnaissance de ce syndrome d’électrosensibilité. La justice — comme souvent — est en avance sur les politiques », s’enthousiasme son porte-parole Etienne Cendrier. Sollicité par Marianne, il se dit « très surpris, mais très satisfait de ce jugement ».
Une allocation aux handicapés
Surprenant en effet, car jamais une autorité juridique n’avait effectué un pareil saut. C’est le jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI) de Toulouse qui a reconnu ce « syndrome d’hypersensibilité » à Marie Richard, la plaignante, qui se traduit par une « déficience fonctionnelle évaluée à 85% en milieu social actuel ». Cette qualification lui permet de bénéficier d’une allocation aux adultes handicapés, sur trois ans, et renouvelable en fonction de l’évolution de la maladie. « La description des signes cliniques est irréfutable », dit encore le jugement, qui s’appuie sur une expertise médicale pilotée par le docteur Pierre Biboulet, qui indique que si l’EHS est inconnu « de notre système de santé français, il est reconnu dans d’autres pays ».
Une bataille juridique
Sans précédent en Europe, ce jugement est l’aboutissement d’une bataille judiciaire qui n’avait pas vocation à être remportée d’avance. « En plaidant ce dossier, je me suis heurté à des regards très suspicieux de la part des juges », se rappelle Me Alice Terrasse, qui a défendu la cause de Marine Richard devant le tribunal. « Une première fois quand j’ai demandé une expertise médicale à domicile, puis une deuxième au moment de la plaidoirie », raconte l’avocate, spécialisée en droit de l’environnement. Au bout, Me Terrasse savoure sa victoire : « En regardant très précisément le dossier médical, les juges sont allés au-delà des a priori qu’ils avaient au départ ».
Quand la plupart électrosensibles sont pris pour des dérangés mentaux, suspectés d’être hypocondriaques, faire reconnaître la réalité de leurs souffrances n’est pas une mince affaire. Il a fallu monter un dossier médical en béton, se rappelle Me Terrasse. Et sensibiliser les médecins. « On a fait une expertise médicale à domicile, car Mme Richard ne pouvait physiquement pas supporter d’être soumise aux ondes. Le médecin a pu voir les conditions dans lesquelles elle vit : une petite maison précaire, à quelques kilomètres du premier hameau. La zone n’est pas exempte d’ondes, mais elle a plus de chances d’y être à peu près protégée ». D’autres médecins sont venus à la rescousse, dont la professeur Belpomme, spécialiste du syndrome, qui a aidé à faire reconnaître un taux d’incapacité suffisant pour qu’elle touche l’allocation handicap. « Tous les médecins se sont accordés à reconnaître ses symptômes, sans attribuer ça à une quelconque maladie psychologique ou phobie sociale », se félicite Me Terrasse. « L’expertise ne laisse aucun doute. Le tribunal lui a attribué un taux d’incapacité de 85%. »
Une bataille politique
Pourtant, il n’existe pas de consensus scientifique sur ce syndrome. Avant l’expertise juridique de Toulouse, il n’avait été établi aucun lien de causalité entre les symptômes et les ondes. Les médecins y voient plutôt des troubles psychologiques ou psychosomatiques, en dépit de la souffrance manifeste des électrosensibles. « Ce sont des douleurs insoutenables qui descendent aussi le long de la colonne vertébrale. Vous avez l'impression que votre tête va exploser », témoigne Marine Richard dans un entretien accordé peu après le délibéré à La Dépêche du Midi. Celle qui va jusqu'à se décrire comme une « réfugiée environnementale » a présagé que l’affaire fera jurisprudence : « Cette première victoire va servir d’autres contentieux en cours ». En l’absence de réglementation, la seule thérapie pour les malades est de s’isoler. Marine Richard milite ardemment pour la création de « réserves » sans ondes sur le sol français.
L’établissement de ces « zones blanches », lavées de toutes traces électromagnétiques, est le cheval de bataille de Michèle Rivasi, eurodéputée EELV. Jointe par Marianne, l’élue de la Drôme raconte la complexité à imposer cette question dans le débat politique : « Le pouvoir politique est d’une part trop lié aux lobbys de la téléphonie mobile et d’autre part pas du tout sensibilisé aux questions de pollution électromagnétique. » D’après l’écologiste, « une décision de justice aura plus de poids pour pousser les élus à ce que l’EHS soit reconnu d’un point de vue politique, et pour que les maisons départementales fassent le pas en avant ».
La loi Abeille, entrée en vigueur en janvier 2015, prévoit des solutions pour modérer l’intensité des champs électromagnétiques, et des procédures d’information en cas d’implantation d’antennes-relais. D’autres textes proposant notamment d’abaisser le seuil maximal d’exposition aux ondes à 0,6 volt/mètre et de réguler l’installation des antennes sont toujours à l’étude. Mais du côté des parlementaires, le scepticisme politique est encore grand. « A tous les politiques qui sont perplexes, dit Michèle Rivasi, on a envie de dire d’aller à la rencontre de ces gens, qui vivent en forêt, dans leur camion, ce sont vraiment les migrants de la haute technologie ».
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Source : http://www.marianne.net/electrosensibles-longue-bataille-les-pretoires-les-tetes-100236526.html
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Lire également :
- ETUDE américaine sur l'EHS : preuve du syndrome neurologique et exclusion du rôle psychologique - 28/07/2011
- ETUDE canadienne sur l'EHS : "Hypersensibilité électromagnétique : Fait ou fiction ?" - 01/11/2011
- "Les méfaits des ondes radio-électriques reconnus par la NASA en 1981" - La Maison du 21è Siècle - Avril 2014
La justice française a abondé dans leur sens lundi de la semaine dernière, en reconnaissant pour la première fois un handicap grave dû à l’électrosensibilité, ainsi que le rapporte mardi l’association Robin des toits, qui milite pour une meilleure reconnaissance des risques liés aux technologies. « Il s’agit d’un grand pas en avant pour la reconnaissance de ce syndrome d’électrosensibilité. La justice — comme souvent — est en avance sur les politiques », s’enthousiasme son porte-parole Etienne Cendrier. Sollicité par Marianne, il se dit « très surpris, mais très satisfait de ce jugement ».
Une allocation aux handicapés
Surprenant en effet, car jamais une autorité juridique n’avait effectué un pareil saut. C’est le jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI) de Toulouse qui a reconnu ce « syndrome d’hypersensibilité » à Marie Richard, la plaignante, qui se traduit par une « déficience fonctionnelle évaluée à 85% en milieu social actuel ». Cette qualification lui permet de bénéficier d’une allocation aux adultes handicapés, sur trois ans, et renouvelable en fonction de l’évolution de la maladie. « La description des signes cliniques est irréfutable », dit encore le jugement, qui s’appuie sur une expertise médicale pilotée par le docteur Pierre Biboulet, qui indique que si l’EHS est inconnu « de notre système de santé français, il est reconnu dans d’autres pays ».
Une bataille juridique
Sans précédent en Europe, ce jugement est l’aboutissement d’une bataille judiciaire qui n’avait pas vocation à être remportée d’avance. « En plaidant ce dossier, je me suis heurté à des regards très suspicieux de la part des juges », se rappelle Me Alice Terrasse, qui a défendu la cause de Marine Richard devant le tribunal. « Une première fois quand j’ai demandé une expertise médicale à domicile, puis une deuxième au moment de la plaidoirie », raconte l’avocate, spécialisée en droit de l’environnement. Au bout, Me Terrasse savoure sa victoire : « En regardant très précisément le dossier médical, les juges sont allés au-delà des a priori qu’ils avaient au départ ».
Quand la plupart électrosensibles sont pris pour des dérangés mentaux, suspectés d’être hypocondriaques, faire reconnaître la réalité de leurs souffrances n’est pas une mince affaire. Il a fallu monter un dossier médical en béton, se rappelle Me Terrasse. Et sensibiliser les médecins. « On a fait une expertise médicale à domicile, car Mme Richard ne pouvait physiquement pas supporter d’être soumise aux ondes. Le médecin a pu voir les conditions dans lesquelles elle vit : une petite maison précaire, à quelques kilomètres du premier hameau. La zone n’est pas exempte d’ondes, mais elle a plus de chances d’y être à peu près protégée ». D’autres médecins sont venus à la rescousse, dont la professeur Belpomme, spécialiste du syndrome, qui a aidé à faire reconnaître un taux d’incapacité suffisant pour qu’elle touche l’allocation handicap. « Tous les médecins se sont accordés à reconnaître ses symptômes, sans attribuer ça à une quelconque maladie psychologique ou phobie sociale », se félicite Me Terrasse. « L’expertise ne laisse aucun doute. Le tribunal lui a attribué un taux d’incapacité de 85%. »
Une bataille politique
Pourtant, il n’existe pas de consensus scientifique sur ce syndrome. Avant l’expertise juridique de Toulouse, il n’avait été établi aucun lien de causalité entre les symptômes et les ondes. Les médecins y voient plutôt des troubles psychologiques ou psychosomatiques, en dépit de la souffrance manifeste des électrosensibles. « Ce sont des douleurs insoutenables qui descendent aussi le long de la colonne vertébrale. Vous avez l'impression que votre tête va exploser », témoigne Marine Richard dans un entretien accordé peu après le délibéré à La Dépêche du Midi. Celle qui va jusqu'à se décrire comme une « réfugiée environnementale » a présagé que l’affaire fera jurisprudence : « Cette première victoire va servir d’autres contentieux en cours ». En l’absence de réglementation, la seule thérapie pour les malades est de s’isoler. Marine Richard milite ardemment pour la création de « réserves » sans ondes sur le sol français.
L’établissement de ces « zones blanches », lavées de toutes traces électromagnétiques, est le cheval de bataille de Michèle Rivasi, eurodéputée EELV. Jointe par Marianne, l’élue de la Drôme raconte la complexité à imposer cette question dans le débat politique : « Le pouvoir politique est d’une part trop lié aux lobbys de la téléphonie mobile et d’autre part pas du tout sensibilisé aux questions de pollution électromagnétique. » D’après l’écologiste, « une décision de justice aura plus de poids pour pousser les élus à ce que l’EHS soit reconnu d’un point de vue politique, et pour que les maisons départementales fassent le pas en avant ».
La loi Abeille, entrée en vigueur en janvier 2015, prévoit des solutions pour modérer l’intensité des champs électromagnétiques, et des procédures d’information en cas d’implantation d’antennes-relais. D’autres textes proposant notamment d’abaisser le seuil maximal d’exposition aux ondes à 0,6 volt/mètre et de réguler l’installation des antennes sont toujours à l’étude. Mais du côté des parlementaires, le scepticisme politique est encore grand. « A tous les politiques qui sont perplexes, dit Michèle Rivasi, on a envie de dire d’aller à la rencontre de ces gens, qui vivent en forêt, dans leur camion, ce sont vraiment les migrants de la haute technologie ».
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Source : http://www.marianne.net/electrosensibles-longue-bataille-les-pretoires-les-tetes-100236526.html
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Lire également :
- ETUDE américaine sur l'EHS : preuve du syndrome neurologique et exclusion du rôle psychologique - 28/07/2011
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- "Les méfaits des ondes radio-électriques reconnus par la NASA en 1981" - La Maison du 21è Siècle - Avril 2014