Plusieurs milliers de personnes seraient électrosensibles. Intolérantes aux ondes émises par les antennes relais, systèmes wifi, etc., certaines ont même tout quitté pour se mettre à l'abri.
Depuis ce matin, sur les hauteurs de Pailharès (Ardèche), Isabelle Nonn-Traya a de nouveau très mal à la tête. Comme quand elle habitait à Lyon. Elle a chaussé ses baskets pour descendre dans le vallon. C'est là que cette quinquagénaire, atteinte d'électrohypersensibilité (EHS), se sent le plus à l'abri. "Mon appareil de mesure de rayonnements électromagnétiques indique 22 milivolts par mètre. Normalement, c'est 10. Ils doivent faire des essais sur la nouvelle antenne relais, qui sera mise en service bientôt. Je vais devoir à nouveau partir."
"J'ai eu l'impression d'être arrachée de tout. Je n'avais pas le choix." raconte Isabelle Nonn-Traya, atteinte d'électrohypersensibilité
L'histoire d'Isabelle Nonn-Traya, c'est celle d'une interminable fuite contre les ondes. En 2007, la société où elle travaille comme pharmacienne, à Lyon, déménage et se met au wifi. Isabelle, qui a deux téléphones portables, souffre le martyr sans savoir pourquoi : maux de têtes, brûlures, pertes d'équilibre et de mémoire. "J'avais des absences. Je me promenais dans mon quartier et puis, durant quelques minutes, je ne savais plus où j'étais. Je tombais, j'avais des pertes de motricité. Je n'arrivais plus à parler correctement. Parfois, je ne pouvais pas soutenir une discussion. Mon état s'est peu à peu aggravé. J'ai fait malaise sur malaise."
REPÈRES
L’électrohypersensibilité (EHS) est une intolérance à des champs électromagnétiques artificiels. Elle peut être plus ou moins marquée et se développe de manière exponentielle avec la progression des technologies sans fil. Les autorités sanitaires nationales (Anses) ou internationales (OMS) ne contestent pas les symptômes mais estiment que le lien de causalité avec l’exposition aux ondes n’a pas été clairement établi.
Fils électriques
L’EHS d’Isabelle Nonn-Traya est tellement développée qu’elle est devenue, peu à peu, sensible
à de très basses fréquences de rayonnements. Elle raconte que la clôture électrique derrière l’ébénisterie où elle loge lui procure des maux de tête. Ces derniers temps, elle a préféré loger dans une yourte, éloignée de l’ébénisterie.
Grotte
Les cas les plus spectaculaires d’électrosensibles connus sont ceux de deux femmes qui avaient élu domicile dans une grotte, à Saint-Julien-en-Beauchêne (05). Elles ont depuis étés logées ailleurs.
Zones blanches
La député européenne Michèle Rivasi défend la création d’une zone blanche, toujours à Saint-Julien- en-Beauchêne, sur le site de Durbon. L’association Perdons pas le fil travaille de son côté pour la création d’une zone blanche dans les P-O.
Cabines
Un rapport parlementaire, cosigné par le député du Gard Fabrice Verdier, propose de supprimer les cabines téléphoniques, coûteuses à l’entretien et de développer le mobile. Perdons pas le fil demande au contraire
leur maintien, et de ne pas saturer l’espace d’ondes. Pour Fabrice Verdier, « il y aura toujours des zones non-couvertes pour des raisons technologiques ».
Electrosensible
Amenée aux urgences après un début d'AVC, Isabelle est admise en neurologie. "Mais ils n'ont pas compris ce qui m'arrivait. On m'a shootée de médicaments et je suis ressortie."C'est sur l'autoroute qu'elle découvre un jour l'origine du mal. "J'ai senti un malaise arriver. Je me suis mise sur la bande d'arrêt d'urgence et me suis endormie 30 minutes. À mon réveil, j'ai vu une antenne relais." Isabelle réalise alors qu'elle est électrosensible. Elle décide de tout quitter : son travail et surtout son fils Clément, 15 ans, qu'elle confie à son père dont elle est séparée. "J'ai eu l'impression d'être arrachée de tout. De mon travail, de mes amis, de mon fils, de ma famille. Mais c'était une question de survie. Je n'avais pas le choix."
Maison blindée à Perpignan
Isabelle s'installe d'abord dans le Beaujolais, dans le village de Chenelette, alors coupé des ondes. Elle y vivra deux ans, jusqu'à ce que les maux de tête reviennent : "Les téléphones portables, jusqu'ici à 0 barres, s'étaient mis à en indiquer 5." Elle se réfugie alors à Pailharès, l'une des dernières zones blanches de France, dans la partie aménagée d'une ébénisterie, hors du village.
Là, loin des ondes, Isabelle se régénère. Elle ne pourra plus vivre en ville. Elle va parfois à Lyon voir son fils mais n'y dort pas. Ou à Paris, pour la consultation annuelle du professeur Belpomme. Elle porte alors tout un attirail de protections pour "tenir une journée" : des vêtements contenant un maillage de fil de cuivre ou d'argent pour arrêter les longueurs d'ondes.
Vivre en ville sous conditions
Certains malades peuvent encore vivre en ville sous certaines conditions. Ainsi, Anne-Laure Mager, 28 ans, présidente de l'association Perdons pas le fil, a “blindé” la maison de ses parents à Perpignan. "On utilise des rideaux spéciaux avec des fibres métalliques, des matériaux furtifs (qui absorbent les ondes) utilisés pour les écrans radars, etc." Anne-Laure est revenue dans les Pyrénées-Orientales après avoir abandonné ses études à Toulouse. "Il y avait une antenne 3 G vers la fac. J'avais des maux de tête insupportables, des désorientations, des vertiges..."
Même si sa maison "anti-ondes" lui permet de vivre, elle part régulièrement se ressourcer dans les Pyrénées. Elle y défend la création d'une zone blanche durable, via son association Perdons pas le fil. "Nous ne sommes pas des illuminés, opposés au progrès, se défend-elle. Par exemple, on défend l'internet filaire. Mais nous avons besoin de zones blanches."
Un handicap
Aujourd'hui, la maladie d' Isabelle Nonn-Traya et d'Anne-Laure Mager n'est pas reconnue par la CPAM. Les MDPH (*) de leurs départements leur versent une allocation d'environ 800 € au titre du handicap. Anne-Laure a repris ses études, par correspondance cette fois. Elle cherche à travailler à son compte, à domicile. Isabelle, elle, se raccroche à la promesse faite par le président du conseil général d'Ardèche sortant de chercher une nouvelle zone blanche. Elle refuse de se laisser abattre : "Je n'aime pas l'apitoiement. Mais il faut témoigner. Le pire, c'est pour les enfants atteints d'EHS. Ils ne pourront pas aller à l'école, apprendre un métier. Leur situation est monstrueuse."
(*) MDPH : Maisons départementales des personnes handicapées.
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Source : http://www.midilibre.fr/2015/03/28/poursuivis-par-les-ondes,1142388.php