Par trois décisions du 26 octobre 2011 portant sur la légalité des arrêtés des municipalités de Saint-Denis (93), Pennes-Mirabeau (13) et Bordeaux, le Conseil d'Etat, suivant les conclusions de Xavier de Lesquen, son rapporteur, a jugé que seules les autorités de l'Etat (ministre, ARCEP, ANFR) - et non les maires sur le fondement de leur pouvoir de police générale - étaient compétentes pour réglementer leur implantation. Le Conseil d'Etat a précisé en outre que l'invocation même du principe de précaution pris par ces élus pour restreindre ces antennes "ne pouvait permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence". Ces arrêtés avaient été annulés dans les trois cas par les tribunaux administratifs et cours d'appel en faveur des opérateurs.
Dans un autre arrêt publié le 30 janvier dernier qui concernait la société Orange et la mairie de Noisy-le-Grand, la Haute juridiction administrative a rappelé que "la seule évocation d'un risque incertain" ne permet pas au maire de justifier légalement un refus d'autorisation d'urbanisme délivrée pour l'installation d'antennes relais sur sa commune.
La déontologie des membres du Conseil d'Etat pointée
Les ''récentes décisions" du Conseil d'Etat constitueraient ''un déni de démocratie locale'', estiment Etienne Cendrier, porte-parole de Robin des Toits et la sénatrice qui pointent '' des conflits d'intérêt différés'' au sein même de cette Haute juridiction où siègent ou ont siégé certains membres des opérateurs de téléphonie. Ce qui laisse subsister ''certains doutes quant à l'impartialité des décisions rendues", déplorent-ils. "Or, il ne faut pas jeter la suspicion sur notre système judiciaire et la transparence'', a lancé la sénatrice.
Comme l'a déjà révélé Le Canard Enchaîné le 12 octobre dernier, le rapporteur public Xavier de Lesquen a été l'ancien patron du Défi Bouygues Telecom Transiciel qui participa en 2000 à la coupe de l'America avec un bateau qui aurait financé à hauteur de 40 millions de francs par l'opérateur de téléphonie mobile. "Susceptible d'encourager une obligeance à l'égard de l'opérateur, cet antécédent peut légitimement permettre de reconsidérer la position du rapporteur relative au pouvoir du maire dans l'application du principe de précaution", jugent Leila Aïchi et l'association.
De son côté, Philippe Logak, maître des requêtes au Conseil d'Etat, aurait été "détaché depuis le 13 mars 2011 en qualité de secrétaire général de SFR". Didier Casas, également maître de requêtes, aurait, quant à lui, été nommé secrétaire général de Bouygues Telecom, le 17 mars 2011. ''Cette surreprésentation au sein des postes de secrétaire général d'opérateurs de téléphonie mobile est d'autant plus troublante que cette activité ne présente a priori aucun lien direct avec leur compétence'', a déclaré la sénatrice qui a demandé au Conseil d'Etat ''une justification des motifs de ces deux détachements et de leur apparente similarité".
La réponse de la Haute juridiction ne s'est pas faite attendre. Contacté par l'AFP, le Conseil d'Etat a assuré hier soir qu'''eu égard de l'ancienneté'' des personnes citées, le conflit d'intérêts n'existait pas. Le partenariat entre M. de Lesquen et Bouygues aurait pris fin en décembre 2002. Quant aux deux maîtres des requêtes, ils auraient quitté le Conseil d'Etat "depuis respectivement 4 et 2 ans et sont dans la position administrative de la disponibilité, qui implique une rupture temporaire de tout lien avec leur corps d'origine. Ils n'exercent, ni ne peuvent non plus exercer aucune fonction, consultative ou contentieuse", affirme encore le Conseil d'Etat.
Le Tribunal des conflits appelé à trancher
Mais pour Richard Forget, l'avocat de Robin des Toits : même en détachement, ces derniers garderaient ''des liens avec leurs amis du Conseil d'Etat'', laissant planer encore ''les doutes quant à l'impartialité'' et les compétences de cette juridiction pour régler les conflits liés aux antennes relais. Alors qu'elle a ''dépossédé les maires de leur pouvoir" tout en leur laissant la responsabilité de gestion du risque sanitaire, souligne l'ONG.
Plusieurs recours en justice avaient pourtant été déposés pour demander le démantèlement des antennes. La dernière affaire en défaveur d'un opérateur date de septembre dernier. La Cour d'appel de Montpellier ayant condamné SFR à démonter une antenne-relais à Montesquieu-des-Albères dans les Pyrénées-Orientales "au nom du principe de précaution'', à la suite d'une plainte d'association de riverains. Ce même principe qui est ''aujourd'hui reconnu comme un fondement d'action légitime par les tribunaux de la sphère judicaire", souligne Robin des Toits. Ces contradictions entre les deux ordres juridictionnels pourraient bientôt être levées. La Cour de cassation, plutôt que de trancher une affaire concernant des antennes relais, vient en effet de saisir sur le sujet le Tribunal des conflits, composé pour moitié de magistrats du Conseil d'Etat et pour moitié de la Cour de cassation. L'audience est prévue le 14 mai prochain.
Mais pour l'avocat de l'association Richard Forget, vu la composition du Tribunal des conflits, il risque de dire que "la compétence est administrative" et de donner raison au Conseil d'Etat, ce qui 'mettra fin aux contentieux judiciaires" autour des antennes relais. Plus aucun recours en justice ne sera possible pour les maires et les riverains, a-t-il alerté. Leila Aïchi a, de son côté, appelé le Tribunal des conflits "à reconnaître la compétence de la Cour affichant le moins de signes extérieurs de conflits d'intérêt. Les décisions à venir conserveront ainsi leur crédibilité aux yeux des justiciables. Il en va de la bonne marche de nos institutions", selon la sénatrice. Affaire à suivre…
Rachida Boughriet
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Source : http://www.actu-environnement.com/ae/news/robin-toits-antennes-relais-juridiction-administrative-judiciaire-conflit-interet-conseil-etat-14971.php4