DECRYPTAGE - La loi française qui encadre désormais l'exposition aux ondes électromagnétiques est un premier pas pour protéger la santé sans interdire le développement de la téléphonie mobile
Afin de protéger la santé des usagers, notamment celle des enfants, la publicité pour les téléphones mobiles devra dorénavant mentionner la recommandation de l'usage d'un dispositif limitant l'exposition de la tête aux émissions radioélectriques. © Photo Archives AFP
C'est voté. Après plus de deux ans d'un feuilleton fertile en rebondissements, soumis à la pression des lobbies et aux reculs gouvernementaux, le Parlement a adopté définitivementle jeudi 29 janvier dernier une proposition de loi encadrant l'exposition aux ondes électromagnétiques. La "loi Abeille", troisième loi écologiste de la législature, après celles sur le statut des lanceurs d'alertes sanitaires et environnementales et sur la limitation de l'usage de produits phytosanitaires, est le premier texte français dédié aux ondes électromagnétiques et à leur impact sur l'environnement et la santé.
Loin d'interdire le développement de la téléphonie mobile, la loi est un texte de compromis qui a pour objectif de l'encadrer et de le réguler pour protéger la santé des usagers. Elle répond en ce sens aux préconisations du rapport de l'Agence nationale sanitaire (Anses) d'octobre 2013 et fera vraisemblablement l'objet d'évolutions ultérieures.
LES ONDES ELECTROMAGNETIQUES SONT-ELLES NOCIVES ?
Les ondes électromagnétiques sont générées, à des degrés divers, par de nombreux appareils (radios, micro-ondes, téléphones sans fil et portables, systèmes Wifi ou Wimax, radars, télécommandes, micros sans fil, etc.) et par les antennes-relais. En 2009, l'Agence nationale sanitaire (Anses) avait acté l'absence de preuves sur la nocivité des radiofréquences, tout en recommandant déjà la réduction des expositions dès que c'est possible, principalement pour l'usage des téléphones portables, la source d'exposition la plus élevée. En mai 2011, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) classait les champs électromagnétiques radiofréquences (de 9 à 300 GHz) comme "peut-être cancérogènes". En octobre 2013, l'Anses recommandait de limiter l'exposition aux ondes. En particulier celles des téléphones mobiles, surtout pour les enfants et les utilisateurs intensifs, qui passent chaque jour plus d'une quarantaine de minutes au téléphone.
1. Pourquoi dit-on la "loi Abeille" ?
Laurence Abeille, députée écologiste rapporteure de la proposition de loi sur l'exposition aux ondes électromagnétiques.© Photo AFP
Un premier pas décisif et important pour la protection des personnes. Laurence Abeille
La proposition de loi "relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques", tire son nom de Laurence Abeille, la députée écologiste EELV qui a défendu le texte déposé initialement en décembre 2013, dans le cadre d'une niche parlementaire. Rien à voir avec les petites ouvrières pollinisatrices de nos campagnes... Cette loi fait date. Elle est la première, en France, à instituer une démarche de précaution face aux risques sanitaires potentiels générés par les antennes-relais, téléphones mobiles, et autres technologies sans fil.
Soutenu par le gouvernement, le texte a suscité une longue bataille de l'UMP, qui a voté contre, en critiquant son côté "excessivement anxiogène", "contraire aux objectifs de développement numérique" affichés par le gouvernement. Une grande majorité de l'UDI s'est abstenue. Ont voté pour, les socialistes, les radicaux de gauche, le Front de gauche et, bien sûr, les députés EELV à l'origine de la loi. Si ces derniers regrettent que l'on ne soit pas allée plus loin dans l'application du principe de précaution, ils se félicitent d'un "premier pas décisif et important pour la protection des personnes".
2. Que prévoit la loi concrètement ?
Deux opérateurs travaillent à la maintenance d'une antenne relais de téléphone. La Rochelle, décembre 2013.© Photo Archives Xavier Leoty
Chaque implantation d'antenne-relais sera assortie d'une procédure d'information préalable et à plusieurs niveaux, des maires et présidents d'intercommunalités.
Le gendarme des fréquences, l'Agence nationale des fréquences devra désormais recenser, chaque année, les "points noirs", ces "points atypiques" où le niveau d'exposition aux ondes est supérieur à celui observé à l'échelle nationale. À charge, pour les opérateurs, d'y remédier dans un délai de six mois. "Sous réserve de faisabilité technique", précise le texte.
Les appareils sans fil, seront interdits dans "les espaces dédiés à l'accueil, au repos et aux activités des enfants de moins de trois ans". Interdit dans les crèches et garderies, dans les écoles primaires, le Wi-Fi devra être désactivé en dehors des activités pédagogiques numériques. En outre, tout établissement proposant au public un accès Wi-Fi devra le signaler clairement à l'entrée au moyen d'un pictogramme.
Une campagne de sensibilisation et d'information concernant "l'usage responsable et raisonné" des terminaux mobiles ainsi que les précautions d'utilisation des appareils utilisant des radiofréquences (kit mains libres) sera lancée dans un délai d'un an. La publicité pour un téléphone mobile devra mentionner la recommandation de l'usage d'un dispositif limitant l'exposition de la tête aux émissions radioélectriques.
Enfin, d'ici à un an, le gouvernement devra remettre un rapport au Parlement sur le cas douloureux des personnes souffrant d'électrohypersensibilité.
3. Quels sont les reculs par rapport au texte initial ?
Fixées entre 41 volts par mètre (V/m) et 61 V/m (en fonction des technologies), les valeurs limites d'exposition aux ondes électromagnétiques sont dans les faits largement en dessous de ces valeurs : en 2010 et 2011, sur 90% du territoire français, les émissions des antennes étaient inférieures à 0,7 V/m. Leur abaissement à 0,6 V/m, demandé par les associations, a disparu du texte.
La loi interdit le Wi-Fi dans les crèches et les garderies, mais pas dans les maternelles, comme prévu dans le texte initial.
Si elle doit faire l'objet d'un rapport ultérieur, la question des personnes atteintes du "mal des ondes" et souffrant d'électrohypersensibilité est bel et bien remise à plus tard. Leurs symptômes sont divers et bien réels: vertiges, maux de tête, troubles de la mémoire, de la concentration, du sommeil, picotements, brûlures… Pour le Collectif des Electrosensibles de France et l'association Priartem qui les représentent, leur problématique doit être traitée comme une "question de santé publique en émergence". Ils proposent notamment la création de "zones blanches" non couvertes par les réseaux sans fil pour les protéger.
4. Pourquoi les associations sont-elles satisfaites ?
C'est peu par rapport à l'ambition initiale de la proposition de loi de Laurence Abeille. C'est pourtant une première avancée qui a une grande portée symbolique
Les associations invitent le législateur, d'ores et déjà, à "aller plus loin". Mais, si le texte a été raboté plusieurs fois entre son renvoi en commission par les socialistes, son examen par l'Assemblée nationale, et son adoption en première lecture par le Sénat, en juin 2014, les écologistes qui militent "pour le développement des technologies numériques dans le respect des conditions de vie et de santé de tous", étaient unanimes pour appeler à voter ce texte dont elles saluent l'"effort législatif". À l'heure du déploiement de la 4G, et alors que les dangers pour la santé présentés par les radiofréquences sont encore mal connus, la loi adoptée introduit, en effet, dans le droit français, un nouveau principe de "sobriété" de l'exposition au public aux champs électromagnétiques.
Le développement de ces technologies s'est fait dans la précipitation, la désinformation et un certain mépris vis-à-vis des citoyens. Michèle Rivasi
L'association Robin des Toits qui bataille régulièrement contre l'installation d'antennes-relais et la généralisation du Wifi, salue dans un communiqué la demande d'un rapport sur l'électro-hypersensibilité prévue par la loi. Pour Priartem, si le texte est "très amoindri", il a le mérite de porter "une attention sur deux populations vulnérables, les enfants et les électrohypersensibles" et encourage "la mise en place de la transparence et de la concertation".
Même réaction de la part de l'eurodéputée écologiste Michèle Rivasi, qui veut développer des centres d'accueil et de suivi médical en " zone blanche", pour lutter contre l'exclusion des personnes hyper sensibles aux ondes et reconnaître leur handicap.
5. Pourquoi les opérateurs mobiles sont-ils mécontents ?
Ce texte risque d'entretenir dans la population une inquiétude infondée et développer un effet anxiogène tout en discréditant le travail des agences sanitaires et des scientifiques. La Fédération française des Télécoms
On s'en doute, l'avis des opérateurs mobiles diverge considérablement de celui des écologistes. Les premiers disent craindre le retour des polémiques sur la dangerosité des ondes et s'inquiètent de ce que la loi ne s'oppose à leurs obligations de développement des réseaux. La Fédération française des télécoms (FFT) se dit toutefois prête à améliorer l'information et la transparence, comme, par exemple, en signant des chartes avec des mairies, mais elle estime que le principe de modération va poser problème, car il n'est pas défini. "Si j'installe une antenne 4G qui fait passer l'exposition d'un logement de 0,5 à 0,7 volt par mètre, la hausse étant de 40% est-ce qu'on me reprochera de ne pas être modéré alors que le taux reste très faible?", interroge Jean-Marie Danjou, son directeur général adjoint chargé du secteur des mobiles.
La FFT qui polémique sur l'existence réelle des risques sanitaires liés aux fameux "points noirs", trouve également exagérées les précautions envisagées à l'égard des objets connectés comme les tablettes, TV... Selon elle, "ces objets ne font courir aucun risque car ils sont utilisés à plus de 30-40 cm de la tête".
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Source : http://www.sudouest.fr/2015/02/04/ondes-de-telephones-mobiles-que-peut-faire-la-loi-abeille-pour-notre-sante-1819136-710.php