« Ondes : votez la loi ». C'est le message adressé aux parlementaires par les quelques dizaines de militants « antiondes » qui, mercredi 22 janvier en milieu de matinée, ont déployé une banderole blanche et noire sur le pont de la Concorde à Paris, face à l'Assemblée nationale. Les députés doivent en effet examiner, jeudi 23 janvier, à la faveur d'une « niche parlementaire » du groupe écologiste, une proposition de loi « relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques », déposée par la députée du Val-de-Marne Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Laurence Abeille.
Voilà un an, une première mouture, renvoyée en commission, avait purement et simplement disparu de l'agenda parlementaire. « Cette fois, nous ne voulons pas que la loi passe à la trappe ou soit dénaturée suite à l'action du lobby industriel », explique Etienne Cendrier, porte-parole de l'association Robin des toits.
« On a besoin de cette loi. Alors que la population est systématiquement contre l'installation d'antennes-relais, neuf fois sur dix, elle n'est pas entendue », renchérit Pascal Julien, adjoint (EELV) à l'environnement au maire du 18e arrondissement de Paris, venu à cette manifestation avec son écharpe tricolore. « Pour réduire la surexposition aux ondes, il faut donner aux maires le pouvoir d'encadrer démocratiquement l'implantation des antennes » , ajoute Christophe Najdovski, adjoint (EELV) au maire de la capitale chargé de la petite enfance et candidat aux prochaines municipales.
« ESPRIT DE PRÉCAUTION »
La « mesure phare » du nouveau texte porté par les écologistes est « d'introduire dans la loi l'objectif de modération de l'exposition », résume Mme Abeille. « Ce sera un grand progrès, même si j'aurais aimé qu'on aille plus loin, ajoute-t-elle. Il est assez rare, en France, de légiférer dans un esprit de précaution. »
Sa proposition de loi s'inscrit dans un paysage marqué par la croissance exponentielle des technologies sans fil (téléphones mobiles, tablettes, Wi-Fi, babyphones…), génératrices de radiofréquences – des ondes électromagnétiques au milieu desquelles baigne la population, qu'elle soit ou non utilisatrice de ces équipements. Et le déploiement de la téléphonie mobile à très haut débit, la 4G, va encore accroître cette imprégnation.
12 500 AUTORISATIONS POUR LA 4G
Au 1er janvier 2014, annonce l'Agence nationale des fréquences (ANF), le nombre de « sites » – c'est-à-dire d'emplacements d'antennes-relais – autorisés en France pour la 4G s'élevait, tous opérateurs confondus, à 12 525, soit une hausse de 3,8 % en un mois. A la même date, 38 000 sites d'antennes-relais étaient déjà autorisés pour la 3G, et autant pour la 2G.
Même s'il n'existe pas de consensus scientifique sur les risques potentiels des radiofréquences pour la santé, plusieurs avis et études ont appelé à la prudence. En 2011, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les radiofréquences comme « cancérogènes possibles ». Et, en octobre 2013, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), sans conclure à « un effet sanitaire avéré », recommandait « de limiter les expositions de la population aux radiofréquences – en particulier des téléphones mobiles –, notamment pour les enfants et les utilisateurs intensifs ».
PAS D'ABAISSEMENT DES SEUILS
D'où la mise en avant d'un principe de « modération » de l'exposition. Le texte soumis aux députés est en réalité lui-même très modéré, par rapport à sa précédente version. Celle-ci, qui visait à un seuil d'exposition « aussi bas que raisonnablement possible », aurait conduit – conformément à la recommandation du Conseil de l'Europe – à fixer à 0,6 volt par mètre (V/m) la limite réglementaire. Celle-ci s'échelonne aujourd'hui entre 41 V/m et 61 V/m, en fonction des générations de téléphonie mobile.
Il n'est plus question, désormais, d'abaissement des seuils. « Le nouveau texte est surtout symbolique, estime Etienne Cendrier. Son mérite est de mettre un pied dans la porte, en introduisant un peu de régulation dans la toute puissance des opérateurs de téléphonie sans fil. »
C'est aussi l'analyse de l'association Pour une réglementation des implantations d'antennes-relais de téléphonie mobile (PRIARTéM). « Une avancée à petits pas vaut mieux que pas d'avancée du tout, juge sa présidente, Janine Le Calvez. Même si, plutôt qu'une modération, nous aurions préféré une réduction ou une limitation de l'exposition. »
POINTS « ATYPIQUES »
De fait, la modération annoncée vaut surtout pour les « points atypiques », ceux où les niveaux d'exposition « dépassent sensiblement la moyenne observée à l'échelle nationale ». Cette moyenne est de 1 V/m, mais, jusqu'à présent, l'ANF ne retient comme « points atypiques » que ceux où l'exposition dépasse 6 V/m. Selon une étude du Comité opérationnel sur les ondes de téléphonie mobile (Copic), portant sur seize communes représentatives du territoire français et publiée en août 2013, les niveaux d'exposition sont « inférieurs à 0,7 V/m » dans 90 % des cas, mais quelques pics sont observés « jusqu'à 10 V/m à puissance maximale des émetteurs ».
Pour ces points « chauds », dont le recensement devra être effectué tous les ans, la proposition de loi « met en demeure l'exploitant de le résorber dans un délai maximal de six mois ». L'opérateur devra aussi « apporter la preuve de l'efficacité des mesures décidées ». Cela, sous peine d'un retrait d'autorisation.
ÉLECTROHYPERSENSIBILITÉ
Le texte, souligne Mme Abeille, met aussi l'accent sur « l'obligation de concertation et de transparence, au niveau local et départemental », lors de l'implantation ou de la modification d'installations radioélectriques. « Il s'agit, commente la députée, de rétablir le rôle des maires, qui avaient été complètement exclus de la boucle décisionnelle. »
D'autres mesures sont prévues, dont l'interdiction de « toute publicité », pour les téléphones portables ou autres terminaux comme les tablettes, ciblant les « enfants de moins de 14 ans ». Pour les plus jeunes, il n'est pas demandé d'étendre l'interdiction d'équipements Wi-FI – en vigueur dans les crèches et les garderies – aux écoles maternelles, mais simplement de réaliser, pour toute nouvelle installation d'un réseau de télécommunications, « l'étude d'une solution de connexion filaire ».
Enfin, sur la question difficile des personnes souffrant d'électrohypersensibilité (EHS) aux champs électromagnétiques, le projet se contente de demander au gouvernement, dans un délai d'un an après la promulgation de la loi, un rapport sur « l'opportunité de créer des zones à rayonnements électromagnétiques limités, notamment en milieu urbain, les conditions de prise en compte de l'électrohypersensibilité en milieu professionnel et l'efficacité des dispositifs d'isolement aux ondes ».
Lire le reportage : Les électrosensibles à la recherche d’une terre vierge de toute onde
« PEURS IRRAISONNÉES »
En limitant leurs objectifs d'encadrement des radiofréquences, les écologistes ont en fait cherché un compromis, acceptable par la ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique, Fleur Pellerin, et par celui de l'éducation nationale, Vincent Peillon, attaché à « faire entrer l'école dans l'ère du numérique ».
Le texte n'en inquiète pas moins les opérateurs. Dans un communiqué daté du 10 janvier, huit organisations professionnelles du numérique « s'alarm[ai]ent et appell[ai]ent le législateur à faire évoluer un texte dont le principal effet en l'état serait de susciter peurs irraisonnées, tensions et contentieux autour des réseaux et des services numériques mobile et sans fil ». Pour les signataires (Afdel, FFTelecoms, Fieec, Gitep, SFIB, Simavelec, Syntec Numérique et Uspii), la proposition de loi, si elle est votée, aura pour conséquence de « multiplier les obstacles au déploiement des réseaux mobile » et « à la disponibilité des infrastructures et des terminaux innovants plus économes en énergie et respectueux de l'environnement ».
Aussi en appellent-ils « à la sagesse du législateur pour établir un équilibre entre la nécessaire transparence vis-à-vis du public et l'impérieuse nécessité de promouvoir l'investissement et l'innovation dans le numérique ». Cela, soulignent-ils, « au bénéfice de la croissance, de la compétitivité, de l'attractivité des territoires et de l'emploi ».
174 AMENDEMENTS
Adoptée le 8 janvier, après amendements, par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, après avoir reçu, le 7 janvier, un avis favorable de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, la proposition de loi des écologistes devrait logiquement être votée par les députés.
A moins que la discussion des 174 amendements déposés, notamment par l'opposition, ne permette pas aux députés d'achever son examen dans le créneau – d'une journée seulement – réservé aux écologistes, qui défendront aussi un projet d'interdiction des pesticides dans les espaces verts publics à partir de 2020. En tout état de cause, le texte devra encore passer devant le Sénat.