La recommandation du ministère de la Santé est désormais connue du grand public : par mesure de précaution, il faut éviter de téléphoner en se déplaçant, car l’appareil développe sa puissance maximale pour chercher les antennes-relais successives. Pourtant, dans les tunnels du métro, la RATP, entreprise publique, a fait installer des antennes permettant aux voyageurs de téléphoner… en se déplaçant. Dans les rames souvent bondées, que se passe-t-il lorsque plusieurs centaines de téléphones sont actifs en même temps ? Quelle exposition et quels effets sur la santé des voyageurs, et a fortiori des conducteurs qui effectuent chaque jour leur service à bord des trains ? La course effrénée aux technologies sans fil toujours plus puissantes est-elle compatible avec le principe de précaution ? Autant de questions soulevées par le CHSCT (Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) du département métro de la RATP, qui depuis 2011 mène une bataille pour obtenir une expertise indépendante sur le sujet.
Le terrain est sensible car, depuis l’apparition du téléphone portable il y a une quinzaine d’années, la polémique fait rage sur les effets nocifs ou pas des ondes électromagnétiques, dans un climat qui ne peut que rappeler l’affaire de l’amiante. Si des études, le plus souvent financées par les opérateurs, continuent de conclure à l’innocuité des systèmes sans fil, d’autres mettent en lumière des effets et risques pour la santé, et les alertes très officielles se multiplient. En mai 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a ainsi classé en 2B, soit « peut-être cancérogènes pour l’homme », les champs électromagnétiques de radiofréquences. Le même mois, le Conseil de l’Europe a adopté une délibération appelant au principe de précaution sur le « danger potentiel » des ondes, et appelant les États à revoir leurs valeurs limites d’exposition. Ces seuils – entre 41 et 61 volts par mètre en France – ne tiennent compte que des effets thermiques des ondes, autrement dit ils nous protègent d’une cuisson. Le Conseil souligne les « effets biologiques non thermiques potentiels sur les plantes, insectes et animaux, ainsi que sur l’organisme humain, même en cas d’exposition à des niveaux inférieurs aux seuils officiels », et préconise d’abaisser les valeurs limites « autant que raisonnablement possible » (Alara pour « As low as reasonably achievable »). Il recommande 0,6 volt par mètre dans un premier temps puis 0,2 volt par mètre à moyen terme.
À la RATP, le classement des ondes en cancérogène probable sème le trouble chez les élus du CHSCT, car les systèmes émissifs sont nombreux sous le tunnel. Aux téléphones portables et aux antennes-relais s’ajoutent plusieurs systèmes propres à la RATP pour la communication entre agents ou le contrôle de la marche des trains. Un cocktail amplifié par le milieu confiné du tunnel, qui empêche la dispersion des ondes, et par l’effet « cage de Faraday » : les appareils émettent plus pour franchir la boîte de fer du train. « Nous voulons savoir à quoi sont réellement exposés les conducteurs dans leur cabine, en situation réelle de travail avec les voyageurs derrière, le déplacement et tous les équipements allumés, explique François-Xavier Arouls, délégué SUD RATP, mandaté par le CHSCT pour porter cette bataille. La direction nous dit qu’elle a fait des mesures et que tout va bien, que les normes sont respectées. Mais ses tests datent de 2009 et ont été faits en laboratoire, avec seulement cinq usagers utilisant un téléphone portable. » Pour le délégué, le principe « Alara » doit aussi être appliqué par la RATP, qui a une obligation de sécurité de résultat envers ses personnels.
En août 2011, le CHSCT déclenche un droit d’alerte. Puis, en septembre, lors d’une réunion où viennent s’exprimer Étienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits, et le professeur Belpomme, cancérologue spécialiste de l’électrosensibilité, il vote le recours à une expertise indépendante. Confiée au cabinet Secafi, elle consisterait à faire mesurer l’exposition des conducteurs par CQFD, un laboratoire associatif indépendant qui dispose d’un appareil permettant d’analyser la totalité du champ électromagnétique. Ayant saisi la justice pour s’opposer à l’expertise au nom de l’absence de « risque grave », la RATP obtient son annulation en février 2012, par une décision du tribunal de grande instance de Paris qui valide toutefois la pertinence des questions soulevées par le CHSCT.
« Après le jugement, la direction a accepté de procéder à des mesures en situation réelle de travail, aux heures de pointe sur la ligne 3, avec du matériel adapté », se félicite François-Xavier Arouls. Lors d’un CHSCT mardi dernier, la direction vient de s’engager à effectuer les mesures avant mai 2013, explique le délégué. Contactée par l’Humanité, la direction continue pourtant d’affirmer que des mesures en situation réelle ont « toujours » été menées par ses services, la seule chose nouvelle étant qu’elles sont désormais effectuées dans la cabine du conducteur. Estimant qu’il s’agit d’une polémique agitée « par une minorité syndicale avec les Robin des toits », le porte-parole souligne que « dans tous les cas, les résultats sont largement en dessous des seuils recommandés », mais refuse de donner des chiffres.
« L’essentiel, c’est d’ouvrir le débat public sur la nocivité des ondes en milieu fermé », souligne Thierry Renard, l’avocat du CHSCT. Avec la multiplication des systèmes émettant des ondes, la question monte dans les entreprises. En octobre dernier, l’union syndicale Solidaires a réuni sur le sujet des militants de la Banque de France, du CNRS, de Renault Trucks, de France Télécom, de la SNCF et la RATP, et propose désormais une formation spécifique sur les ondes. Le débat va rebondir avec l’examen à l’Assemblée nationale, le 31 janvier, d’une proposition de loi du groupe écologiste invitant à l’application du principe de précaution dans ce domaine.
Repères :
- En France, un décret de mai 2002 fixe les valeurs limites d’exposition aux ondes à 41 ou 61 volts par mètre selon le type de fréquence.
- Des effets sur la santé ont été constatés à partir de 0,6 volt par mètre, et des atteintes au bien-être à partir de 1 V/m après 45 minutes d’exposition.
- La première Charte de Paris en 2005 fi xait la valeur limite à 2 V/m en moyenne sur 24 heures, ce qui permet des pics au-delà.
- La réglementation fixe aussi le seuil de 3 V/m pour la « compatibilité électromagnétique », ce qui signifie qu’au-delà, les matériels peuvent interférer. Cela peut poser problème pour les personnes portant des implants médicaux ou des pacemakers.
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Source : http://www.humanite.fr/social-eco/dans-les-tunnels-du-metro-la-bataille-des-ondes-co-513282