La Ville de Paris ne veut pas du nouveau compteur électrique « intelligent » Linky. Bien qu’elle soit la première ville française à prendre une position aussi tranchée contre ce nouveau compteur, son vœu, adopté mi-octobre 2011, est passé assez inaperçu. Ce vœu fait suite à l’annonce d’Éric Besson, ministre en charge de l’Énergie, le 28 septembre dernier, d’installer 35 millions de compteurs électriques « intelligents » dans tous les logements à partir de 2013 [1 ], considérée par les élus verts parisiens comme une « décision ministérielle unilatérale ». Les élus du groupe Europe Écologie-Les Verts (EELV) regrettent « l’absence totale de concertation avec les collectivités locales propriétaires des réseaux ». « En tant que propriétaire du réseau électrique et des compteurs, la Ville de Paris doit avoir voix au chapitre », souligne le cabinet de Denis Baupin, maire-adjoint de Paris.
Les nouveaux compteurs électriques piratés
Autre point de friction entre la capitale et l’État, « les impératifs de préservation de la vie privée et de la liberté des citoyens ». Cette crainte est-elle justifiée vis-à-vis de compteurs jugés intrusifs ? Début janvier, en Allemagne, deux hackers ont démontré qu’il était possible d’intercepter les données transitant entre un compteur de nouvelle génération et la compagnie d’électricité [2 ]. Selon The Hacker News , les deux hackers étaient en mesure, après avoir analysé les données, de connaître le nombre d’ordinateurs ou de téléviseurs dans la maison, le programme de télévision regardé, et si le film DVD en cours de lecture était protégé ou non par un copyright !
Certes, ce piratage ne porte pas sur un compteur Linky, mais sur un compteur électrique intelligent d’origine allemande, rappelle le service de presse ERDF, qui gère le réseau électrique. Le protocole de communication utilisé par le Linky serait différent du modèle hacké par les pirates allemands. La Mairie de Paris souhaite néanmoins que le gouvernement réexamine le cahier des charges adopté. Et elle n’est pas la seule.
EDF vs collectivités locales
Autres oubliées de la concertation, les collectivités locales. Propriétaires des réseaux de distribution d’électricité (hors lignes à haute tension) et des compteurs électriques, elles en ont délégué l’exploitation à ERDF sur 95 % du territoire sous forme de concessions [3 ]. Dès novembre 2010, le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (Sipperec ), qui réunit 100 collectivités franciliennes, engage un recours gracieux [4 ] auprès du Premier ministre. Le Sipperec n’accepte pas la généralisation du compteur « sans que le diagnostic ne soit partagé par tous les acteurs ». Le recours est aujourd’hui dans l’attente d’un jugement du Conseil d’État.
Les propos d’Henri Proglio, le 8 novembre dernier dans un entretien au Parisien , ont ravivé la polémique sur la propriété des compteurs. La réglementation doit être « revue afin de garantir pour mon entreprise un retour sur investissement , affirme le PDG d’EDF. Pour cela, il me semble normal de considérer que le nouveau compteur Linky m’appartient. » Une déclaration qui n’est pas du goût de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR ). « ERDF est concessionnaire, exploitant d’un réseau appartenant aux collectivités locales, qui le lui "prêtent" dans le cadre de contrats de concession », rappelle la fédération. Quant au retour sur investissement, Henri Proglio n’a pas à s’inquiéter : le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité lui garantit une rémunération annuelle de 7,25 % !
Linky = 4 000 emplois supprimés ?
À la Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME CGT), on s’inquiète de l’impact de ce déploiement pour les salariés d’ERDF. « Le gouvernement confie le déploiement et le financement de Linky à ERDF, et affirme que le nouveau compteur sera gratuit pour l’usager, renvoyant son financement à des gains de productivité réalisés par le distributeur public, indique la FNME CGT. Cela ne doit pas se traduire par des suppressions d’emplois et la dégradation des conditions de travail pour les salariés de l’entreprise. » Or, plus de 4 000 emplois de techniciens clientèle pourraient être supprimés, rappelle le syndicat. « Le recours à la sous-traitance doit être exceptionnel, car il est reconnu par la direction d’ERDF elle-même que sous-traiter revient plus cher que de faire réaliser les travaux par ses propres équipes », avertit la CGT. Ici comme à SUD Énergie, on s’oppose d’ores et déjà aux utilisations anti-sociales qui pourraient être associées à la mise en œuvre du compteur. Ce dernier, désormais doté d’un moyen de coupure télécommandé, pourrait fortement simplifier la tâche pour les impayés… [5 ]
Le PDG d’EDF évalue le coût unitaire du compteur « entre 200 et 300 euros par foyer », largement au-delà de l’estimation qui avait été faite lors de l’annonce de la généralisation du dispositif (120 euros). « Le consommateur risque de payer deux fois s’il veut agir sur sa consommation », regrette Catherine Dumas, directrice générale adjointe du Sipperec. Le consommateur va d’abord payer le changement de compteur. « S’il veut pouvoir agir sur sa consommation et faire des économies, il faudra qu’il paye une deuxième fois, côté fournisseur, des services pour maîtriser sa consommation », relève le Sipperec. « Ce compteur va être certainement très utile à ERDF pour mieux gérer le réseau, mais nous relevons de nombreuses insuffisances dans [ses] fonctionnalités […] pour le consommateur », résume Catherine Dumas, qui aurait souhaité un peu moins de précipitation de la part du ministère de l’Énergie.
Une pollution électromagnétique supplémentaire ?
Il n’y a pas qu’en France que l’arrivée de compteurs « intelligents » est contestée. « C’est comme les gaz de schiste, ça va trop vite ! » Cette phrase lâchée par une manifestante le 5 février dans la ville de Québec résume bien la situation. Alors que la société d’État Hydro-Québec prévoit d’installer 3,8 millions de compteurs intelligents d’ici à 2017, les manifestations pour exiger un moratoire se multiplient. Des rassemblements se sont tenus le 5 février au Québec. L’enjeu : alerter sur les radiations électromagnétiques émises par ces compteurs nouvelle génération. « Elles constituent un risque qu’on ne sait pas encore mesurer, indique José Levesque, l’un des membres fondateurs de la Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique (CQLPE ). Nous imposer ça est une grave atteinte à notre liberté de choix. »
Dans le doute, la ville de Saint-Colomban (Québec) a adopté en novembre 2011 une résolution [6 ] exigeant un moratoire sur l’installation des compteurs intelligents. Elle s’est inspirée de la pétition déposée à l’Assemblée nationale qui a recueilli près de 10 000 signatures. Ses auteurs dénoncent la non-consultation des abonnés, le « coût exorbitant » du remplacement des compteurs électromécaniques actuels ainsi que l’absence d’évaluation des risques sanitaires.
En complément du moratoire, la coalition réclame une commission d’enquête publique et transparente qui évalue le projet dans son ensemble et fasse le point sur les risques liés à l’électropollution. Et la possibilité pour un abonné de faire retirer le nouveau compteur (20 000 appareils ont déjà été installés). De son côté, Hydro-Québec assure que les taux d’ondes émises répondent aux normes recommandées par Santé Canada.
« Plus de rayonnements que les téléphones mobiles »
Les compteurs pointés du doigt au Québec sont les mêmes que les deux millions installés par le distributeur d’électricité PG&E en Californie. Depuis l’installation des compteurs intelligents, de nombreux résidents se disent aux prises avec des problèmes de santé, dont des maux de tête, des bourdonnements d’oreille, des nausées, des acouphènes et des troubles cardiaques. Deux mille plaintes ont été déposées. Des collectifs Stop Smart Meters (Stop aux compteurs intelligents) se sont créés ces derniers mois en Californie et dans une vingtaine d’autres États, multipliant les manifestations et actions de blocage des véhicules de PG&E. « Les nouveaux compteurs dits intelligents émettent plus de rayonnements que les téléphones mobiles », témoigne une militante dans le New York Times. « Avec les téléphones mobiles, vous pouvez choisir de ne pas en avoir, ou de l’éteindre lorsque vous ne l’utilisez pas. Mais avec ce nouveau compteur, vous n’avez pas le choix, c’est de façon constante, on vous l’impose, vous ne pouvez pas l’éteindre. »
Bombardement électromagnétique
Le comté de Santa Cruz, en Californie, a fini par décréter fin janvier un moratoire sur l’implantation de ces compteurs. Cette décision s’appuie sur un rapport [7 ] commandé en décembre 2011 au médecin Poki Stewart Namkung, l’officier de la santé publique du comté. L’exposition aux radiofréquences serait cumulative, notamment en raison du bombardement croissant auquel toute personne en milieu urbain est désormais la victime involontaire.
Le rapport relève, entre autres effets biologiques reconnus des radiofréquences, « une perméabilité accrue de la barrière hémato-encéphalique du cerveau (Eberhardt, 2008), des effets négatifs sur la qualité du sperme, des lésions de la double échelle de l’ADN qui peuvent déclencher un cancer (Phillips, 2011), l’activation du gène de stress comme s’il réagissait à une toxine (Blank, 2011), ainsi qu’une altération du métabolisme du glucose dans le cerveau (Volkow, 2011) ». Autant d’effets potentiels sérieux qui ont conduit le Dr Namkung à recommander l’application du principe de précaution.
Interdictions d’installation et sanctions financières
Le moratoire adopté par le comté de Santa Cruz s’inscrit dans un mouvement de contestation beaucoup plus large. On compte à ce jour 9 autres comtés et 38 villes en Californie ayant adopté des résolutions qui considèrent illégale l’installation des compteurs intelligents au sein de leur juridiction [8 ]. Début février, la Commission des services publics de Californie a ainsi autorisé les clients de la société PG&E à refuser l’installation dans leur résidence des compteurs intelligents. Ces clients pourront soit conserver leur ancien compteur analogique, soit accepter l’installation d’un compteur électronique multifonctions dont on aura désactivé l’émetteur qui permet de transférer les données.
Cette décision est néanmoins assortie d’une sanction financière. Alors que le relevé de consommation ne coûtait rien jusque-là, la Commission autorise désormais le distributeur à imposer des frais initiaux de 75 $ et des frais mensuels de 10 $ – respectivement 10 $ et 5 $ pour les personnes à faibles revenus. Le combat est loin d’être terminé puisque de nombreux abonnés sont catégoriquement opposés à payer ces frais qui, disent-ils, reviennent à de l’extorsion de fonds. Environ 90 000 abonnés ont déjà indiqué à la société PG&E qu’ils refusaient l’installation des compteurs intelligents chez eux.
« Aux Pays-Bas, on est davantage en avance dans le dossier car les citoyens peuvent, sur une base volontaire et sans pénalité, conserver les compteurs mécaniques », rapporte la Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique. Selon The Telegraph, la Grande-Bretagne songerait, elle aussi, à permettre aux usagers de se retirer de son programme de modernisation des compteurs. Bien que le gouvernement britannique projette l’installation de 53 millions de compteurs intelligents entre 2014 et 2019, le mouvement ralentit du fait des craintes des usagers relatives aux radiofréquences. Le ministre de l’Énergie, Charles Hendry, a ainsi récemment déclaré que le gouvernement « ne rendrait pas les compteurs intelligents obligatoires ».
Une technologie en France non exempte de risques sanitaires
En France, des associations comme Robin des toits et Next-Up s’inquiètent des effets potentiellement nocifs sur la santé en raison des ondes émises par les nouveaux compteurs électriques. Certes, les technologies utilisées aux États-Unis et au Canada pour permettre la communication du compteur sont différentes de celles utilisées en France. « Aux États-Unis, précise Étienne Cendrier, porte-parole de Robin des toits, les nouveaux compteurs ne fonctionnent qu’avec des radiofréquences. En France, on va essentiellement passer par du CPL, c’est-à-dire du courant porteur en ligne. » Les données émises par le compteur seront donc transportées via les lignes électriques existantes.
Mais la technologie CPL, qui superpose au courant électrique alternatif de 50 Hz (hertz) un signal à plus haute fréquence, n’est pas exempte de risques sanitaires car les câbles électriques actuels ne seraient pas aux normes CPL. « Les câbles du réseau électrique n’ont pas été conçus à l’origine pour transporter des signaux hautes fréquences, précise l’association Next-Up. Si ERDF veut déployer le Linky, elle doit installer des câbles blindés qui n’irradient pas de hautes fréquences. » Autre solution alternative préconisée par Robin des toits : le raccordement du parc de compteurs actuels en filaire ou en fibre optique.
Totale absence d’études…
Une fois rassemblées dans un concentrateur, les données sont ensuite envoyées à un centre de traitement par la norme GPRS, la même que celle utilisée dans la téléphonie mobile. Or, les ondes électromagnétiques viennent d’être classées par l’Organisation mondiale de la santé dans la catégorie 2B, c’est-à-dire « des agents peut-être cancérigènes pour l’homme ». « À l’occasion de l’expérimentation menée par ERDF en Indre-et-Loire, plusieurs personnes sur place se sont plaintes de nuisances, relève Étienne Cendrier. C’est de l’ordre du déclaratif, mais aucune étude d’impact sanitaire n’a été menée pour approfondir cette question. »
Craignant la mise en danger des personnes électrosensibles, Robin des toits n’envisage pourtant pas de se tourner vers l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, en vue de mener des tests sur les compteurs et concentrateurs installés. Car, depuis la publication du rapport sur les radiofréquences, en octobre 2009, rien n’a été fait dans ce domaine par cette agence. Contactée par Basta !, l’Anses n’a pas été en mesure d’apporter des précisions sur ce thème. « C’est une véritable course de lenteur », dénonce Étienne Cendrier. Ce manquement total au principe de précaution a conduit Robin des toits à déposer fin 2011 un recours au Conseil d’État, qui dispose d’un an pour l’examiner. Avec le compteur Linky, Éric Besson s’apprête à refiler un cadeau empoisonné au prochain gouvernement.
Sophie Chapelle
[2 ] Dario Carluccio et Stephan Brinkhaus ont présenté les résultats de leurs recherches à l’occasion de la 28e édition du Chaos Computing Congress, le rendez-vous annuel de la scène hacker internationale.
[3 ] Selon l’article L 322-4 du code de l’énergie.
[4 ] Ce recours est aussi engagé par le Syndicat intercommunal d’énergie d’Indre-et-Loire (Sieil), où s’est déroulée une partie de l’expérimentation du compteur Linky menée par ERDF.
[5 ] Lire à ce sujet Le compteur électrique « intelligent » : outil écolo ou mouchard social ?.
[6 ] Lire la résolution adoptée par la Ville de Saint-Colomban au Québec
[7 ] Lire le rapport (en anglais).
[8 ] Voir la liste mise à jour sur le site Stop Smart Meters.
Les nouveaux compteurs électriques piratés
Autre point de friction entre la capitale et l’État, « les impératifs de préservation de la vie privée et de la liberté des citoyens ». Cette crainte est-elle justifiée vis-à-vis de compteurs jugés intrusifs ? Début janvier, en Allemagne, deux hackers ont démontré qu’il était possible d’intercepter les données transitant entre un compteur de nouvelle génération et la compagnie d’électricité [2 ]. Selon The Hacker News , les deux hackers étaient en mesure, après avoir analysé les données, de connaître le nombre d’ordinateurs ou de téléviseurs dans la maison, le programme de télévision regardé, et si le film DVD en cours de lecture était protégé ou non par un copyright !
Certes, ce piratage ne porte pas sur un compteur Linky, mais sur un compteur électrique intelligent d’origine allemande, rappelle le service de presse ERDF, qui gère le réseau électrique. Le protocole de communication utilisé par le Linky serait différent du modèle hacké par les pirates allemands. La Mairie de Paris souhaite néanmoins que le gouvernement réexamine le cahier des charges adopté. Et elle n’est pas la seule.
EDF vs collectivités locales
Autres oubliées de la concertation, les collectivités locales. Propriétaires des réseaux de distribution d’électricité (hors lignes à haute tension) et des compteurs électriques, elles en ont délégué l’exploitation à ERDF sur 95 % du territoire sous forme de concessions [3 ]. Dès novembre 2010, le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (Sipperec ), qui réunit 100 collectivités franciliennes, engage un recours gracieux [4 ] auprès du Premier ministre. Le Sipperec n’accepte pas la généralisation du compteur « sans que le diagnostic ne soit partagé par tous les acteurs ». Le recours est aujourd’hui dans l’attente d’un jugement du Conseil d’État.
Les propos d’Henri Proglio, le 8 novembre dernier dans un entretien au Parisien , ont ravivé la polémique sur la propriété des compteurs. La réglementation doit être « revue afin de garantir pour mon entreprise un retour sur investissement , affirme le PDG d’EDF. Pour cela, il me semble normal de considérer que le nouveau compteur Linky m’appartient. » Une déclaration qui n’est pas du goût de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR ). « ERDF est concessionnaire, exploitant d’un réseau appartenant aux collectivités locales, qui le lui "prêtent" dans le cadre de contrats de concession », rappelle la fédération. Quant au retour sur investissement, Henri Proglio n’a pas à s’inquiéter : le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité lui garantit une rémunération annuelle de 7,25 % !
Linky = 4 000 emplois supprimés ?
À la Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME CGT), on s’inquiète de l’impact de ce déploiement pour les salariés d’ERDF. « Le gouvernement confie le déploiement et le financement de Linky à ERDF, et affirme que le nouveau compteur sera gratuit pour l’usager, renvoyant son financement à des gains de productivité réalisés par le distributeur public, indique la FNME CGT. Cela ne doit pas se traduire par des suppressions d’emplois et la dégradation des conditions de travail pour les salariés de l’entreprise. » Or, plus de 4 000 emplois de techniciens clientèle pourraient être supprimés, rappelle le syndicat. « Le recours à la sous-traitance doit être exceptionnel, car il est reconnu par la direction d’ERDF elle-même que sous-traiter revient plus cher que de faire réaliser les travaux par ses propres équipes », avertit la CGT. Ici comme à SUD Énergie, on s’oppose d’ores et déjà aux utilisations anti-sociales qui pourraient être associées à la mise en œuvre du compteur. Ce dernier, désormais doté d’un moyen de coupure télécommandé, pourrait fortement simplifier la tâche pour les impayés… [5 ]
Le PDG d’EDF évalue le coût unitaire du compteur « entre 200 et 300 euros par foyer », largement au-delà de l’estimation qui avait été faite lors de l’annonce de la généralisation du dispositif (120 euros). « Le consommateur risque de payer deux fois s’il veut agir sur sa consommation », regrette Catherine Dumas, directrice générale adjointe du Sipperec. Le consommateur va d’abord payer le changement de compteur. « S’il veut pouvoir agir sur sa consommation et faire des économies, il faudra qu’il paye une deuxième fois, côté fournisseur, des services pour maîtriser sa consommation », relève le Sipperec. « Ce compteur va être certainement très utile à ERDF pour mieux gérer le réseau, mais nous relevons de nombreuses insuffisances dans [ses] fonctionnalités […] pour le consommateur », résume Catherine Dumas, qui aurait souhaité un peu moins de précipitation de la part du ministère de l’Énergie.
Une pollution électromagnétique supplémentaire ?
Il n’y a pas qu’en France que l’arrivée de compteurs « intelligents » est contestée. « C’est comme les gaz de schiste, ça va trop vite ! » Cette phrase lâchée par une manifestante le 5 février dans la ville de Québec résume bien la situation. Alors que la société d’État Hydro-Québec prévoit d’installer 3,8 millions de compteurs intelligents d’ici à 2017, les manifestations pour exiger un moratoire se multiplient. Des rassemblements se sont tenus le 5 février au Québec. L’enjeu : alerter sur les radiations électromagnétiques émises par ces compteurs nouvelle génération. « Elles constituent un risque qu’on ne sait pas encore mesurer, indique José Levesque, l’un des membres fondateurs de la Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique (CQLPE ). Nous imposer ça est une grave atteinte à notre liberté de choix. »
Dans le doute, la ville de Saint-Colomban (Québec) a adopté en novembre 2011 une résolution [6 ] exigeant un moratoire sur l’installation des compteurs intelligents. Elle s’est inspirée de la pétition déposée à l’Assemblée nationale qui a recueilli près de 10 000 signatures. Ses auteurs dénoncent la non-consultation des abonnés, le « coût exorbitant » du remplacement des compteurs électromécaniques actuels ainsi que l’absence d’évaluation des risques sanitaires.
En complément du moratoire, la coalition réclame une commission d’enquête publique et transparente qui évalue le projet dans son ensemble et fasse le point sur les risques liés à l’électropollution. Et la possibilité pour un abonné de faire retirer le nouveau compteur (20 000 appareils ont déjà été installés). De son côté, Hydro-Québec assure que les taux d’ondes émises répondent aux normes recommandées par Santé Canada.
« Plus de rayonnements que les téléphones mobiles »
Les compteurs pointés du doigt au Québec sont les mêmes que les deux millions installés par le distributeur d’électricité PG&E en Californie. Depuis l’installation des compteurs intelligents, de nombreux résidents se disent aux prises avec des problèmes de santé, dont des maux de tête, des bourdonnements d’oreille, des nausées, des acouphènes et des troubles cardiaques. Deux mille plaintes ont été déposées. Des collectifs Stop Smart Meters (Stop aux compteurs intelligents) se sont créés ces derniers mois en Californie et dans une vingtaine d’autres États, multipliant les manifestations et actions de blocage des véhicules de PG&E. « Les nouveaux compteurs dits intelligents émettent plus de rayonnements que les téléphones mobiles », témoigne une militante dans le New York Times. « Avec les téléphones mobiles, vous pouvez choisir de ne pas en avoir, ou de l’éteindre lorsque vous ne l’utilisez pas. Mais avec ce nouveau compteur, vous n’avez pas le choix, c’est de façon constante, on vous l’impose, vous ne pouvez pas l’éteindre. »
Bombardement électromagnétique
Le comté de Santa Cruz, en Californie, a fini par décréter fin janvier un moratoire sur l’implantation de ces compteurs. Cette décision s’appuie sur un rapport [7 ] commandé en décembre 2011 au médecin Poki Stewart Namkung, l’officier de la santé publique du comté. L’exposition aux radiofréquences serait cumulative, notamment en raison du bombardement croissant auquel toute personne en milieu urbain est désormais la victime involontaire.
Le rapport relève, entre autres effets biologiques reconnus des radiofréquences, « une perméabilité accrue de la barrière hémato-encéphalique du cerveau (Eberhardt, 2008), des effets négatifs sur la qualité du sperme, des lésions de la double échelle de l’ADN qui peuvent déclencher un cancer (Phillips, 2011), l’activation du gène de stress comme s’il réagissait à une toxine (Blank, 2011), ainsi qu’une altération du métabolisme du glucose dans le cerveau (Volkow, 2011) ». Autant d’effets potentiels sérieux qui ont conduit le Dr Namkung à recommander l’application du principe de précaution.
Interdictions d’installation et sanctions financières
Le moratoire adopté par le comté de Santa Cruz s’inscrit dans un mouvement de contestation beaucoup plus large. On compte à ce jour 9 autres comtés et 38 villes en Californie ayant adopté des résolutions qui considèrent illégale l’installation des compteurs intelligents au sein de leur juridiction [8 ]. Début février, la Commission des services publics de Californie a ainsi autorisé les clients de la société PG&E à refuser l’installation dans leur résidence des compteurs intelligents. Ces clients pourront soit conserver leur ancien compteur analogique, soit accepter l’installation d’un compteur électronique multifonctions dont on aura désactivé l’émetteur qui permet de transférer les données.
Cette décision est néanmoins assortie d’une sanction financière. Alors que le relevé de consommation ne coûtait rien jusque-là, la Commission autorise désormais le distributeur à imposer des frais initiaux de 75 $ et des frais mensuels de 10 $ – respectivement 10 $ et 5 $ pour les personnes à faibles revenus. Le combat est loin d’être terminé puisque de nombreux abonnés sont catégoriquement opposés à payer ces frais qui, disent-ils, reviennent à de l’extorsion de fonds. Environ 90 000 abonnés ont déjà indiqué à la société PG&E qu’ils refusaient l’installation des compteurs intelligents chez eux.
« Aux Pays-Bas, on est davantage en avance dans le dossier car les citoyens peuvent, sur une base volontaire et sans pénalité, conserver les compteurs mécaniques », rapporte la Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique. Selon The Telegraph, la Grande-Bretagne songerait, elle aussi, à permettre aux usagers de se retirer de son programme de modernisation des compteurs. Bien que le gouvernement britannique projette l’installation de 53 millions de compteurs intelligents entre 2014 et 2019, le mouvement ralentit du fait des craintes des usagers relatives aux radiofréquences. Le ministre de l’Énergie, Charles Hendry, a ainsi récemment déclaré que le gouvernement « ne rendrait pas les compteurs intelligents obligatoires ».
Une technologie en France non exempte de risques sanitaires
En France, des associations comme Robin des toits et Next-Up s’inquiètent des effets potentiellement nocifs sur la santé en raison des ondes émises par les nouveaux compteurs électriques. Certes, les technologies utilisées aux États-Unis et au Canada pour permettre la communication du compteur sont différentes de celles utilisées en France. « Aux États-Unis, précise Étienne Cendrier, porte-parole de Robin des toits, les nouveaux compteurs ne fonctionnent qu’avec des radiofréquences. En France, on va essentiellement passer par du CPL, c’est-à-dire du courant porteur en ligne. » Les données émises par le compteur seront donc transportées via les lignes électriques existantes.
Mais la technologie CPL, qui superpose au courant électrique alternatif de 50 Hz (hertz) un signal à plus haute fréquence, n’est pas exempte de risques sanitaires car les câbles électriques actuels ne seraient pas aux normes CPL. « Les câbles du réseau électrique n’ont pas été conçus à l’origine pour transporter des signaux hautes fréquences, précise l’association Next-Up. Si ERDF veut déployer le Linky, elle doit installer des câbles blindés qui n’irradient pas de hautes fréquences. » Autre solution alternative préconisée par Robin des toits : le raccordement du parc de compteurs actuels en filaire ou en fibre optique.
Totale absence d’études…
Une fois rassemblées dans un concentrateur, les données sont ensuite envoyées à un centre de traitement par la norme GPRS, la même que celle utilisée dans la téléphonie mobile. Or, les ondes électromagnétiques viennent d’être classées par l’Organisation mondiale de la santé dans la catégorie 2B, c’est-à-dire « des agents peut-être cancérigènes pour l’homme ». « À l’occasion de l’expérimentation menée par ERDF en Indre-et-Loire, plusieurs personnes sur place se sont plaintes de nuisances, relève Étienne Cendrier. C’est de l’ordre du déclaratif, mais aucune étude d’impact sanitaire n’a été menée pour approfondir cette question. »
Craignant la mise en danger des personnes électrosensibles, Robin des toits n’envisage pourtant pas de se tourner vers l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, en vue de mener des tests sur les compteurs et concentrateurs installés. Car, depuis la publication du rapport sur les radiofréquences, en octobre 2009, rien n’a été fait dans ce domaine par cette agence. Contactée par Basta !, l’Anses n’a pas été en mesure d’apporter des précisions sur ce thème. « C’est une véritable course de lenteur », dénonce Étienne Cendrier. Ce manquement total au principe de précaution a conduit Robin des toits à déposer fin 2011 un recours au Conseil d’État, qui dispose d’un an pour l’examiner. Avec le compteur Linky, Éric Besson s’apprête à refiler un cadeau empoisonné au prochain gouvernement.
Sophie Chapelle
Notes
[1 ] Lire à ce sujet Le Nouveau Compteur électrique Linky : plus cher, plus intrusif, mais pas écologique.[2 ] Dario Carluccio et Stephan Brinkhaus ont présenté les résultats de leurs recherches à l’occasion de la 28e édition du Chaos Computing Congress, le rendez-vous annuel de la scène hacker internationale.
[3 ] Selon l’article L 322-4 du code de l’énergie.
[4 ] Ce recours est aussi engagé par le Syndicat intercommunal d’énergie d’Indre-et-Loire (Sieil), où s’est déroulée une partie de l’expérimentation du compteur Linky menée par ERDF.
[5 ] Lire à ce sujet Le compteur électrique « intelligent » : outil écolo ou mouchard social ?.
[6 ] Lire la résolution adoptée par la Ville de Saint-Colomban au Québec
[7 ] Lire le rapport (en anglais).
[8 ] Voir la liste mise à jour sur le site Stop Smart Meters.
En savoir plus
Pour aller plus loin : Ondes électromagnétiques : vers un nouveau scandale sanitaire ?.
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Source : http://www.bastamag.net/article2114.html
Source : http://www.bastamag.net/article2114.html