La mairie de Paris s’était donnée pour objectif de limiter les émissions d’antennes- relais à 0,6 volt/mètre, elle a finalement voté une limite de 5V/m pour la 2G et la 3G ainsi que 7Volts/m pour la 4G.
Vert à moitié vide
« C’est une défaite, c’est clair ». On sent sous la déception d' Yves Contassot une pointe de colère. Le conseiller écologiste à la mairie du XIIIème arrondissement a dirigé en 2003 la première négociation de la charte de la téléphonie mobile à Paris, applaudie à l’époque par les associations comme un premier pas vers une régulation des ondes émises par les opérateurs.
Autre ambiance en 2012 puisqu’il a refusé de siéger au Conseil de Paris lors du vote de la nouvelle charte. Officiellement Europe Ecologie Les Verts a voté pour. Mais la moitié du groupe a déserté l’hémicycle. Les autres partis étaient aussi très faiblement représentés, les communistes se sont abstenus et c’est dans l’apathie presque générale que s’est effectuée le vote alors qu’il devait être l’enjeu principal de cette session d’octobre.
Delphine Burkli, conseillère UMP du 9ème arrondissement, a voté la charte mais a publiquement accusé la majorité de s’être aplatie : « si cette charte constitue un progrès, c’est d’abord au bénéfice des opérateurs de téléphonie mobile et en aucun cas pour les Parisiens. » Elle rejoint les appréciations de la députée européenne EELV Michèle Rivasi, « il est tout d'abord scandaleux que les associations aient été écartées des négociations. Le lobby des opérateurs de téléphonie a ainsi eu la voie libre pour imposer ses vues. De plus en plus de personnes se constituent en collectifs pour se plaindre de l'implantation d'antennes relais près de chez elles, mais personne ne les écoute. » A Bakchich, Delphine Burkli exprime son étonnement : « J’ai trouvé les Verts très timorés. Je me demande ce qui a pu bien se passer. En juin 2009, la conférence citoyenne initiée par Delanoë s’était donné pour objectif d’atteindre les 0,6 V /m, le Conseil de Paris avait entériné cet objectif à la quasi unanimité en 2010. Seulement deux ans plus tard, tout est oublié et les socialistes applaudissent. »
18 mois de blocage
et moi, et toit, émoi
Tout commence au printemps 2011, la première charte arrive à son terme, il faut renégocier. L’écologiste Denis Baupin et le socialiste Mao Péninou sont en charge du dossier. Atteindre le 0,6V/m est une priorité. Comme moyen de pression, le parc immobilier de la ville, qui intéresse fortement les opérateurs pour y implanter de nouvelles antennes. Situés en hauteur, les immeubles offrent des moyens d’exposition importants et utiles, surtout lorsque la 4G va s’y déployer. D’autre part, la ville est actionnaire du bailleur social Paris Habitat qui abrite déjà de nombreuses antennes relais autour du périphérique, la mairie menace de vider ses toits si l’accord ne lui convient pas. Invités au rapport de force, les opérateurs choisissent le clash et demandent des seuils supérieurs à la première charte, jusqu’à 15 V/m. La guerre est lancée. Les négociations achoppent comme le rapportait Bakchich l’année dernière. En tout 18 mois de blocage. « On est arrivé jusqu’à proposer une limite de 3 V/m, un seuil qui ne nécessite aucun changement d’infrastructure et qui est suffisant pour la téléphonie, mais ils ne voulaient rien entendre et faisaient des propositions inacceptables, les négociations s’étaient alors arrêtées pour quatre mois » précise Péninou.
« Ils ont joué les cadors » selon Cantassot. « Négocier avec ces entreprises, ce n’est pas la même chose que les tractations politiques entre partis. » Contassot pointe le rôle de Baupin, « il a du mal à faire des compromis avec des partenaires économiques et il n’a pas voulu céder de terrain. Entretemps, le Conseil d’Etat a statué qu’il ne revenait pas aux municipalités de statuer sur l’implantation des antennes relais. Un argument de plus pour les opérateurs. »
Péninou défend son ancien partenaire, « si on n’avait pas tapé très fort au début, on n’aurait pas obtenu la satisfaction d’avoir une bonne charte. » Changement des temps, la vague rose et verte submergent le pays. Après avoir mené une longue campagne, l’écolo Baupin devient député en juin 2012, vice-président de l’Assemblée Nationale et lâche le dossier de la charte aux seuls socialistes. Ce n’est qu’en juillet que René Dutrey remplace Baupin dans ses charges, Dutrey concède qu’ « il y a eu une période de flottement avant ma prise de fonction ». Un timing qui coïncide avec l’exaspération des opérateurs et de La Chambre de Commerce. Dans une lettre du 11 avril 2012 dont Libération se faisait l’écho, les opérateurs fixaient leurs dernières propositions au maire de Paris. Ce sera au maximum 5,5 V/m pour la 3G et 7,5V/m pour la 4G.
Les élus parisiens se sont quasi alignés et ont accepté « une volonté forte des opérateurs, celle d’accélérer les autorisations d’antennes relais qui peuvent désormais se réaliser en quatre mois. » « Auparavant les délais pouvaient atteindre deux ans, ce qui était inacceptable » précise Jean-Louis Missika à Bakchich. Ancien vice-président de Free, cet adjoint au maire, socialiste, chargé de l'innovation, de la recherche et des universités a aussi participé aux négociations avec Jean-Marie le Guen. Certains élus reprochent que la mairie soit devenue une « simple caisse d’enregistrement » des demandes d’installation d’antennes relais. Une critique qui fait craindre une hausse des tensions dans certains immeubles parisiens où la population se sent peu écoutéé.
Les toits de la discorde
Si la charte est passée, des situations de blocage perdurent dans certains immeubles. Deux vœux au Conseil de Paris ont été présentés par EELV afin de démonter le dispositif d’antennes relais situés au 173 rue Marcadet (18ème) et 5 rue Lobineau (6ème). Depuis 9 ans, les riverains se battent pour empêcher ces antennes rue Marcadet, où une crèche et une école sont situés tout proche. Le maire d’arrondissement Daniel Vaillant a appuyé leur demande mais rien n’y fait, le Conseil de Paris a rejeté ce vœu ainsi que celui de rue Lobineau où une crèche et une halte garderie jouxtent l’immeuble. Mao Péninou a justifié ce rejet car ce n’était pas le moment de revenir sur des particularismes car la charte exposait des principes généraux. En Conseil de Paris, il a aussi justifié que les enfants seraient mieux protégés puisque la limite serait de 5V/m, oubliant que la 4G atteindra 7V/m… Des arguments qui paraitront peut-être un peu faibles au regard des préoccupations des citoyens qui font signer de nombreuses pétitions et montent des collectifs. Tous les arrondissements sont concernés, rien que dans le XVème, cinq immeubles sont mobilisés. Ils s’inquiètent de plus en plus pour leurs enfants comme en témoigne ce reportage de Bakchich. Péninou rassure, il y aura des mesures tous les trois ans dans tous les établissements sensibles et la charte garantit le respect des opérateurs.
Accusé de « scientiste » ou même de « maniaque de la modernité » par certains Verts, certains se méfient du rôle d’intermédiaire qu’a pu jouer Missika. Il s’en défend et relativise son rôle « j’avais plus une fonction de conseil, c’est Mao qui a géré le dossier, » « j’ai toujours fait bloc avec eux. » Le maire est-il intervenu pour que la situation se débloque ? Péninou infirme, même s’il note que les opérateurs ont essayé de passer des messages, « le maire nous a donné jusqu’au bout toute sa confiance pour conduire les négociations. » Reste qu’après le fameux courrier des opérateurs, la situation se débloque puisque selon nos informations Free et Bouygues auraient trouvé un accord avec la mairie au printemps. Suivi d’Orange fin août et de SFR en septembre.
Le 18 septembre, l’accord final est conclu. Et aujourd’hui la Fédération Française des Telecom (fédération unifiant les quatre opérateurs) sabre le champagne : « La FFT se réjouit qu’à travers ce vote, les élus marquent leur volonté de faire de Paris une capitale du numérique de référence mondiale, où chacun pourra accéder au très haut débit mobile avec une qualité de service optimale. »
Une charte sur un toit brulant
Péninou défend que la nouvelle charte garantit moins d’expositions et plus de transparence que la première. Le mode de calcul des expositions est certainement une avancée, les limites seront calculées en pic d’exposition et non plus en moyenne. Lors de la première charte, la moyenne ne devait pas dépasser les 2V/m selon un comptage critiqué par les écologistes et les associations. Des pics très importants allant parfois jusqu’à 10 V/m ont été relevés par les Robins des toits. Selon la nouvelle charte, 5V/m sera la limite absolue des pics d’exposition et les relevés seront effectués selon le protocole de l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR), un protocole accepté par tous. Les mesures se feront désormais sur 24h et non plus sur une moyenne de trois points dans la journée.
Péninou assure qu’il y aura 20% d’exposition de moins en moyenne. L’élu ne s’attarde pas vraiment sur les origines de ce calcul si ce n’est que c’est une « étude empirique, réalisée à partir de mesures des cinq dernières années ». Bizarrerie… Pourquoi prendre en considération des mesures passées qui ont été critiquées dans leur mode de calcul et dont on change le protocole dans la nouvelle charte ? Jean-Louis Missika échappe d'un rire à la question. Autre problème majeur, l’ouverture prochaine des lignes 4G qui seront limitées à 7 V/m (bien loin des 0,6V/m) et dont personne ne connaît ni les besoins ni les utilisations et qui pourrait définitivement remettre en cause cette baisse d’exposition, si toutefois elle avait eu lieu.
Aller plus haut
Personne ne connaît les conséquences sanitaires de la 4G. Les associations demandaient un moratoire sur la 4G et une étude d’impact, ainsi que pour la 3G. René Dutrey confirme qu’il faut appliquer le principe de précaution, « personne ne peut dire si les émissions de ces ondes sont nocives ou non ; en attendant on doit limiter les expositions. » Aveu de faiblesse, l’écologiste René Dutrey concède qu’ils n’ont pu aller plus loin devant la pression des opérateurs et le manque de cadre légal national, « la charte a atteint les limites de ce qu’une collectivité locale peut faire » c’est pourquoi les parlementaires écologistes préparent un projet de loi limitant les émissions à 0.6 V/m pour le début 2013. Un vœu pieux selon Contassot qui « voit mal Montebourg, qui chapeaute le ministère de l’innovation et de l’économie numérique, signer un tel texte. » Apparemment les appréciations du ministre sur le progrès et le nucléaire ne sont pas oubliées. Pourtant les Verts se donnent du mal puisque 200 élus locaux, écolos en tête, mais aussi socialistes et centristes, ont cosigné mardi 16 octobre 2012 un appel au gouvernement pour obtenir « l’application du principe de précaution en matière de téléphonie mobile ». Leur volonté est de baisser les seuils d’exposition et créer « un réseau unique et interopérable d’antennes relais ». Il est vrai qu’aujourd’hui, l’Europe, au nom de la libre concurrence, interdit la création d’un réseau unique. Conséquence, chaque opérateur plante son antenne et l’exposition augmente. Une aberration pour les associations et beaucoup d’élus. « Nous allons aussi essayer de changer les choses à Bruxelles » ajoute Dutrey. En attendant Europe Ecologie Les Verts vient d'avaler une belle couleuvre à Paris, une de plus.
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Source : http://www.bakchich.info/france/2012/10/18/les-ondes-troubles-de-la-charte-de-paris-61836