'Victoire judiciaire pour les électrosensibles' - Le Monde -27/08/2015



Antennes de téléphonie mobile, à Lille. PHILIPPE HUGUEN / AFP
Passé inaperçu lors de sa publication le 8 juillet, le jugement pourrait marquer un tournant dans la reconnaissance de l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Alors que ce phénomène n’est toujours pas officiellement reconnu comme une maladie en France, le tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse a accordé un taux d’incapacité de 85 % à Marine Richard, une ex-journaliste âgée de 40 ans qui a cessé toute activité professionnelle depuis 2010 en raison, dit-elle, de son hypersensibilité à certaines ondes.

Pour justifier le droit pour la plaignante de bénéficier de l’allocation pour adultes handicapés (AAH) de 800 euros par mois, le tribunal de Toulouse s’est appuyé sur une expertise judiciaire faisant état d’un « syndrome d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques » dont « la description des signes cliniques est irréfutable ». « La symptomatologie disparaît dès que les causes sont éliminées : mais cette élimination impose un mode de vie et des sacrifices qui ne permettent pas la moindre suspicion de simulation », fait valoir le médecin-expert mandaté par le tribunal. La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de l’Ariège, qui délivre l’allocation, ne reconnaissait jusque-là qu’un taux d’incapacité inférieur à 50 %, qui n’ouvrait pas droit à une telle aide.

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« Maux de tête et arythmie cardiaque »

« Cette décision est une première en France, et peut-être même en Europe. Elle nous paraissait inatteignable il y a peu », se réjouit Etienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits, qui milite pour la sécurité sanitaire des technologies de communication sans fil. Selon lui, environ 70 000 personnes seraient électrohypersensibles aujourd’hui en France, victimes à des degrés divers des champs électromagnétiques émis par les technologies modernes (portables, Wi-Fi, antennes-relais, etc.).

« Dans ma petite prison, je peux passer des semaines sans voir personne »

« Les juges ont estimé qu’il n’était pas possible de maintenir une inégalité de traitement sur les territoires », se félicite pour sa part Marine Richard, en expliquant que certaines MDPH attribuent déjà des allocations pour adultes handicapés à des personnes électrosensibles quand d’autres les refusent. En 2012, elle s’est installée dans une ancienne bergerie des montagnes ardéchoises, sans électricité ni route d’accès carrossable : « Dans ma petite prison, je peux passer des semaines sans voir personne. » En cause, assure-t-elle : des « maux de tête très forts et une arythmie cardiaque » après une exposition de quelques heures aux ondes, jusqu’à des « troubles neurologiques de type Alzheimer » si cette dernière se prolonge.

Lire le reportage : Les électrosensibles à la recherche d’une terre vierge de toute onde

Cette décision en première instance pourrait inciter d’autres personnes dans la même situation à se pourvoir en justice, sans forcément faire jurisprudence. « Les juges ont constaté le handicap, mais pas établi ses causes », note-t-on du côté des autorités sanitaires. Le conseil départemental de l’Ariège, dont dépend la MDPH, a indiqué, mercredi 26 août, avoir fait appel de ce jugement le 4 août. Un appel suspensif qui ne devrait pas être examiné avant dix-huit mois.

Principe de « sobriété »

« On espère que ce jugement sensationnel va faire évoluer les politiques et qu’ils vont faire baisser les normes d’exposition au public », avance Etienne Cendrier. Un impératif, alerte Sophie Pelletier, la porte-parole du collectif des électrosensibles de France (Priartem), face au « déploiement tous azimuts de nouvelles sources d’exposition comme les compteurs électriques communicants, le plan Wi-Fi à l’école ou la suppression programmée des zones blanches ».

Fin janvier, les parlementaires ont adopté une loi qui introduit pour la première fois dans le droit français un principe de « sobriété » de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, sans fixer de réduction précise et contraignante des valeurs limites d’exposition.

Il faut dire qu’entre les associations, qui brandissent le principe de précaution, et les opérateurs de téléphonie, opposés à tout frein réglementaire, le débat scientifique n’est toujours pas tranché. L’Organisation mondiale de la santé – qui a classé les champs électromagnétiques comme « cancérigènes possibles » en 2011 – a certes reconnu, dès 2005, que les symptômes des électrohypersensibles étaient avérés et potentiellement graves, mais sans établir de lien de causalité avec l’exposition aux ondes.

En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) est sur la même position. Dans un rapport publié en 2013, elle concluait que les données scientifiques disponibles ne montraient pas « d’effet avéré sur la santé », tout en recommandant de limiter les expositions aux radiofréquences, en particulier pour les populations les plus fragiles. Preuve que le sujet est sensible, deux nouveaux rapports de l’agence, consacrés à l’électrosensibilité et à l’impact des radiofréquences sur les enfants, sont attendus pour le premier semestre 2016, après avoir été plusieurs fois repoussés.

Audrey Garric
Chef adjointe du service Planète/Sciences du Monde

François Béguin
Journaliste au Monde

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Source : http://www.lemonde.fr/acces-restreint/planete/article/2015/08/27/6d6c659d6b6571c5946a656b689669_4737809_3244.html

Robin Des Toits
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