« Il faut éviter d’appeler de façon inadéquate l’attention de nos concitoyens sur les questions de santé publique. Celles-ci sont suffisamment graves pour que l’on ne crie pas au loup à tout moment. » Ainsi le député PS-SRC Jean- Marie Le Guen veut-il clore, en 2004, un débat de l’Assemblée nationale sur la téléphonie mobile. Quatre ans après, le gouvernement ne se montre guère moins frileux sur la question. Il aura fallu attendre l’après- Noël pour que Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, appelle les familles à une vague prudence, reprenant les recommandations émanant en 2005 de l’Agence française de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (Afsset). Alors que 70 % des 10-14 ans et 89 % des 15-17 ans étaient déjà équipés en 2006 (3). Pour les associations demandant l’interdition du portable pour les enfants ainsi qu’une campagne d’information, la déception est grande.
Pourtant, la parution en août 2007 du rapport Bioinitiative a de nouveau tiré la sonnette d’alarme : les ondes électromagnétiques propres à la téléphonie mobile et aux Wifi et Wimax ne seraient pas sans effets sur l’homme. Quatorze scientifiques internationaux y recensent plus de 1 500 travaux couvrant la génotoxicité, l’immunité, les tumeurs et cancers, les troubles du comportement, le stress cellulaire… Ils en concluent que « le principe de précaution a été édicté pour justifier l’action politique publique en matière de protection de la santé lorsqu’il existe des dangers plausibles, sérieux et irréversibles liés à des expositions actuelles et fu - tures, et lorsqu’il existe des incertitudes, un manque de connaissance scientifique. Toutes ces circonstances s’appliquent aux champs électromagnétiques ». Un mois après, les conclusions du groupe français d’Interphone (une enquête de l’OMS) récusent l’inocuité du portable que défendait jusqu’à présent la même OMS. Mais en termes ô combien prudents : « Nos résultats, suggérant la possibilité d’un risque accru au sein des plus gros utilisateurs, doivent encore être vérifiés dans les analyses de l’étude internationale Interphone. » « Continuer la recherche, recommande Bioinitiative, ne doit pas être un prétexte pour éviter ou retarder des modifications substantielles, qui permettront à terme de nous épargner des coûts supplémentaires en argent, en vie et en malaise social. » C’est pourtant l’attitude inverse qui est de mise.
Rigueur scientifique ? Soit. Mais il pourrait exister d’autres raisons. « Michael Paroli, ancien responsable pour l’OMS des champs électromagnétiques, a reconnu, au cours d’une enquête, que les normes de la téléphonie mobile avaient été mises au point avec des industriels », explique Étienne Cendrier. L’Afsset, elle, a été épinglée en 2006 par un rapport des inspections générales de l’Environnement et des Affaires sociales. Y apparaissait que la parution en avant-première de résultats dans un ouvrage fait en collaboration avec Orange « a sans nul doute contribué à jeter le doute sur l’impartialité du travail qui était en cours ». Sans parler du long délai entre le rapport et l’avis, ou celui tout aussi important de la mise en ligne de la déclaration publique d’intérêt (DPI), dans laquelle les chercheurs signalent leur lien avec les industriels. Et pour cause : l’un siège au conseil scientifique de Bouygues Telecom, l’autre possède des actions de téléphonie mobile… Au total, 4 chercheurs sur 10 entretenaient des liens directs ou indirects avec des opérateurs, contrevenant ainsi au règlement intérieur. Qu’en est-il des nouveaux experts désignés en 2008 par l’Afsset ? Difficile à dire : « Les DPI ne seront communiquées qu’à la publication du rapport, nous a répondu la présidente de l’Afsset », s’agace Jeanine Le Calvez, présidente de Priartem (association Pour une réglementation des implantations d’antennes relais de téléphonie mobile). « C’est en cours, rétorque l’Agence. Les membres actualisent leur DPI depuis leur candidature, il y a plusieurs mois. Travail minutieux. » Certainement, puisque la nomination date de février 2008. Et que la première version n’est pas accessible non plus.
Prévues, les garanties d’indépendance ne sont donc pas toujours suivies, ni suffisantes. La Fondation santé et radiofréquences signale que ses financements lui viennent à part égale de l’État et des opérateurs, et que son conseil d’administration est au tiers composé d’opérateurs. Sa charte éthique précise que tous ses membres « sont tenus d’informer sans délai la Fondation des liens de toute nature, directs ou indirects, qu’ils peuvent avoir avec des organismes ou sociétés ayant des activités professionnelles utilisant des radio - fréquences, notamment pour les communications électroniques ». Des DPI toujours inaccessibles sur leur site, alors que la Fondation est reconnue d’intérêt public depuis 2005, et que l’on tarde à nous communiquer !
Là encore, des chercheurs ou des membres du CA (en tant que personnes «qualifiées ») ont des liens avec les opérateurs. Présidente du conseil scientifique de la Fondation, mais aussi chargée d’Interphone France, la chercheuse Martine Hours déclare avoir des liens indirects avec France Telecom, Bouygues et SFR par des contrats de recherche de l’université Claude-Bernard. Ce type de liens ne saurait nécessairement discréditer les travaux. Mais la discrétion qui les entoure n’inspire guère confiance. Passe encore que la rigueur présidant aux travaux scientifiques pousse certaines institutions à minimiser la dangerosité de la téléphonie mobile. À une condition : que cette même rigueur s’applique à prouver (ou infirmer) l’indépendance des chercheurs et des institutions.
MARION DUMAND
Politis, 22/05/2008
(1) Chiffres, de 2006, donnés par l’Association française des opérateurs mobiles (Afom).
(2) Associations : criirem.org, next-up.org, priartem.com, robindestoits.org, microwavenews.org
(3) Idem note 1.