'Portables : ça râle sur les relais' - Le Canard Enchaîné - 28/11/2001



Mauvaise ondes ou non ? Les riverains des 30.000 antennes relais de téléphonie mobile commencent à râler. Et avec l'UMTS, il va falloir en implanter autant.

Mobilisation générale !

Tel Zorro émergeant d'une sieste de plusieurs années, l'Etat français vient d'intervenir dans un dossier qui fâche : celui des antennes relais et de leurs éventuels dangers pour la santé. Le 23 octobre, une circulaire est envoyée aux préfets, signée par les quatre ministères concernés : Industrie, Santé, Environnement et Logement. Le 14 novembre, le secrétaire d'Etat à l'Industrie, Christian Pierret, sort un arrêté qui fixe la puissance d'émission maximum des antennes. Enfin, trois semaines avant leur publication officielle, les résultats d'une campagne de mesures menée par l'Agence nationale des fréquences viennent d'être publiés par le « JDD » (25/11) sous le titre rassurant : « Les antennes du portable hors de cause ».

Quelle mouche a piqué nos gouvernants pour déclancher un tel mitraillage réglementaire ?

Officiellement, il s'agit de protéger la population en proie à une véritable psychose de l'antenne folle. Tout s'explique mieux quand on entend les doléances de nos trois opérateurs de téléphonie mobile, France Telecom-Orange, Bouygues et SFR-Vivendi, qui commencent à paniquer car les associations de mécontents fédérées par Priartem pullulent comme champignons en automne, les plaintes s'accumulent, les tribunaux révoquent les autorisations, les maires prennent des arrêtés restrictifs. France Telecom avoue 30% de retard sur les chantiers. Il y a déjà trente mille antennes en France, mais il en faut encore quelques milliers pour suivre la croissance du marché, et le futur réseau UMTS aura besoin de ses propres antennes. Mais leur implantation est de plus en plus difficile.
Pendant des années, elle s'est faite au pas de charge, par opérations commando, sans la moindre concertation ni information et sans cadre réglementaire. Moyennant une autorisation délivrée comme une simple formalité et une redevance aux maires ou aux propriétaires d'immeubles (entre 10.000 et 120.000 francs par an, selon l'emplacement), on a vu s'ériger partout pylônes et batteries d'antennes. Et voilà qu'aujourd'hui des riverains se plaignent de migraines, d'insomnies, de palpitations, de vertiges, de nausées, de fatigue chronique, de troubles de mémoires et de fausses couches. D'où la montée des frondes locales.

Une entourloupe magistrale

L'Etat a voulu mettre de l'ordre dans cette pagaille. D'abord, il a commandé un rapport d'experts, sorti en février dernier. Un bijou de langue de bois. Y a-t-il vraiment risque pour la santé ? Peut être bien que oui, peut être bien que non. En attendant d'en savoir plus, téléphonons avec modération et évitons de viser, à moins de cent mètres du faisceau direct des antennes, des écoles, des crèches, des hôpitaux et des résidences pour personnes âgées.

Là-dessus, les parlementaires entrent en scène : le groupe Santé et Environnement, qui réunit des députés de tous les partis planche sur un projet de loi, mais le Sénat le coiffe au poteau avec un projet RPR déposé le 3 mai.

Hélas, tous ces efforts sont pour des prunes. Car Matignon rafle la mise, par une entourloupe magistrale. Le 25 juillet dernier, profitant de la torpeur estivale, le gouvernement fait voter une ordonnance qui lui permet de statuer par décrets sur une interminable série de mises en conformité avec des directives européennes. Dans le tas se cache la question des antennes relais. Or, l'Europe n'a jamais pris de directive en la matière, mais une simple recommandation, sans caractère obligatoire ! Consternation au Parlement, fureur chez certains ministres.

Les talibans de l'alarmisme

Les technocrates chargés du problème assurent au « Canard » que tout va pour le mieux : « Le décret, c'était simplement parce qu'il y avait urgence », dit Gilles Dixsaut, à la Santé. Jean-Yves Le Gall, à l'Industrie, « il fallait travailler avec sérénité et rationalité ». Les parlementaires apprécieront ! A l'Environnement, silence radio. On dit qu'il y aurait de la dissension dans l'air.
Quoi qu'il en soit, les jeux sont faits. La circulaire, l'arrêté et le futur décret donnent force de loi à la recommandation européenne, présentée comme un modèle de protection des populations puisqu'elle reprend un avis de l'OMS (Organisation mondiale de la santé), lui-même calqué sur des calculs de l'Icnirp, une commission de scientifiques du monde entier.
Alors, c'est le bonheur ? Oui, pour les opérateurs : leurs antennes émettent en effet bien au-dessous des limites prescrites. Mais ces valeurs sont jugées beaucoup trop laxistes par certains scientifiques, l'Icnirp est un organisme privé où fabricants et opérateurs sont largement représentés, et l'OMS essuie à ce sujet de violentes critiques. Du coup, la France, invoquant sans rire le fameux « principe de précaution », se retrouve le seul pays au monde à inscrire dans la loi ces normes contestées. Les autres pays, comme l'Italie, la Suisse ou le Luxembourg, ont imposé des normes dix fois plus strictes.
Seule consolation, la circulaire aux préfets conseille benoîtement d'élargir la concertation » au niveau local, mais sans fixer de règles précises. Il va falloir se débrouiller avec ça ! Pour les opérateurs, c'est une première victoire, mais ils ne se font pas d'illusions : la guerre va être longue. Contre les talibans de l'alarmisme et autres terroristes anti-antennes, il faut à présent commu-ni-quer ! Chacun sort des plaquettes, et Jean-Claude Bouillet, ancien colonel des transmissions, désormais responsable « Fréquences et Protection » chez Bouygues, court les colloques pour haranguer journalistes et maires. Bien sûr, il vante le travail de l'Agence nationale des fréquences, elle aussi dirigée par un ancien militaire.
Rendez vous compte, l'exposition due aux antennes relais est en moyenne cinq fois moindre que celle des inoffensives radios FM ! On oublie juste de préciser que les fréquences du portable, dix fois plus hautes que celles de la FM, sont beaucoup mieux absorbées par les tissus vivants.
Car tout le problème est là. Les micro-ondes ont une fâcheuse tendance à déclencher des réactions même à des puissances très faibles, ce que la science constate sans pouvoir l'expliquer pour l'instant. Ces mêmes ondes sont aussi réfléchies par les éléments métalliques, balcons, escaliers, volets ou garde-fous, ce qui peut fausser bien des calculs. Mais attention, les experts et les savants qui le proclament sont des mauvais esprits. Et plutôt que d'en débattre, nos communicants préfèrent d'autres arguments, du genre mesquin.

Portables faisandés

Exemple, accuser Roger Santini, biologiste et chercheur à l'Insa (Institut national des sciences appliqués), d'avoir volé du papier à en-tête de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) pour inonder les journaux de ses brûlots téléphoniquement incorrects.
(Renseignements pris, Santini utilise bien son propre papier à lettres professionnel, qui porte le double en-tête de l'Insa et de l'Inserm, et déclare dans toutes ses interventions publiques qu'il exprime ses opinions et non celles de l'Insa). Ce Santini est en effet très gênant : il publie dans quelques jours la première étude au monde consacrée aux maux dont se plaignent les riverains des antennes dans un journal scientifique à comité de lecture, « La Presse médicale ». Ca n'empêchera pas les opérateurs de continuer à affirmer que tous ces symptômes sont d'origine psychologique, déclenchés par la simple vue des antennes. On lira dans « Alerte sur le portable », un livre récent du député apparenté Vert Aschieri (et Cattelain), troi cas documentés où des couvées de poussins ont subi une mortalité de 80% suite à la mise en service d'une antenne. De là à extrapoler sur l'homme, n'exagérons pas. Mais l'angoisse psychosomatique de l'embryon dans sa coquille d'oeuf, c'est un peu difficile à gober.

Professeur Canardeau
Le Canard Enchaîné - 28 novembre 2001

Robin Des Toits
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