Portables 'A consommer avec modération' - Science et Vie - Avril 1999

Va-t-il falloir faire figurer sur les téléphones portables les mêmes mises en garde que sur les cigarettes et l'alcool ? Les études scientifiques qui mettent en évidence les dangers des radiotéléphones pour la santé se multiplient.



Il a fallu quarante ans pour que l'industrie du tabac reconnaisse les méfaits de la cigarette sur la santé. Combien de temps faudra-t-il pour que les fabricants de radio-téléphones admettent le danger de ces appareils ? Vu l'engouement du public pour les portables - encore appelés téléphones cellulaires- il semble que cela ne soit pas demain la veille...

Pourtant, les études scientifiques qui mettent en évidence les effets nocifs de ces appareils sur le cerveau se multiplient. Devra-t-on faire figurer la mention "Nuit gravement à la santé" sur les portables comme on le fait sur les paquets de cigarettes ?

Contrairement à ce qui se passe dans les pays anglo-saxons, où la méfiance vis-à-vis de la téléphonie mobile est très forte, en France, le public et les médias s'en tienne généralement à ce que disent les fabricants à savoir que les téléphones cellulaires sont totalement inoffensifs. Des ventes records ont été enregistrées à Noël : 1,45 million d'appareils vendus, contre 1,2 million au Royaume-Uni, 700 000 en Espagne, 200 000 en Belgique et 125 000 en Suède.

En France, le nombre d'abonnés est aujourd'hui de 11 millions -soit 20% de la population-, et il atteindra vraisemblablement les 30% à la fin de l'année. A titre de comparaison, le pourcentage d'abonnés est de 34,5% au Japon et de 24% aux Etats-Unis. Quant au nombre d'abonné dans le monde, il est actuellement de 275 millions et il devrait atteindre 530 millions en 2003.

Or rentabilité oblige, les téléphones mobiles ont été mis sur le marché sans que des études préalables de nuisance aient été faites.

Autrement dit, les utilisateurs sont les cobayes d'une expérience planétaire dont on ignore encore, faute de recul suffisant les conséquences sur la santé.

Le débat sur le danger des appareils cellulaires a commencé au début des années 90. au milieu des année 60, des études soviétiques puis américaines avait mis en évidence un lien entre la survenue de cancers chez les enfants et la proximité des réseaux électriques à haute tension. Cependant, en dépit du fait que les lignes à haute tension émettent aussi des ondes électromagnétiques, elles n'agissent pas de la même façon que les téléphones mobiles sur l'organisme humain.

En effet, les champs électromagnétiques des lignes à haute tension sont à très basse fréquence (50 hertz) et traversent les tissus sans les échauffer. En revanche, les champs produits par les mobiles sont à très haute fréquence (900 mégahertz pour les appareils SFR et France telecom, 1800 Mhz pour ceux de Bouygues) et par conséquent peu pénétrants : de 2 à 3 cm selon les tissus.

COUP DE CHAUD
Après avoir traversé la peau, les muscles du visage et les os du crâne, ces ondes électromagnétiques atteignent, à 2 cm de profondeur, la région la plus superficielle -mais aussi la plus sensible- du cerveau : le cortex, ou écorce cérébrale. L'énergie électromagnétique est convertie en chaleur (autre forme d'énergie), provoquant une élévation de la température du tissu cérébral. "Au niveau du cortex, cette augmentation est d'environ 1 °C, explique Luc Vershaeve, de l'équipe d'Anne-Marie Maes, au Vlaamse Instelling voor Technologish Onderzoek, à Mol (Belgique). Tout se passe exactement comme dans un four à micro-ondes, sauf qu'ici c'est le centre névralgique du corps humain qui subit un échauffement. "si l'on téléphone régulièrement et pendant de longues périodes il n'est pas impossible que l'effet thermique finisse par léser l'ADN cellulaire et provoquer des tumeurs cancéreuses." précise Luc Verschaeve.

En effet, l'ADN des chromosomes porte les gènes qui programment l'ensemble des caractéristiques de la vie ; il suffit que l'un d'entre eux soit lésé pour que les mécanismes vitaux soient perturbés.

"Pour qu'un cancer apparaisse, il faut que l'altération de l'ADN se situe au niveau du gène à l'origine de la protéine p53" précise Caroline Moyret-Lalle, chercheur au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard à Lyon. "Ce gène est dit suppresseur de cancer" parce que la protéine p53 qu'il induit s'oppose à la cancérisation de la cellule lorsque celle-ci est agressée. Quand ce gène est lésé, la protéine p53 est déficiente et ne protège plus le génome."

L'altération de l'ADN par les ondes électromagnétiques a été montré par l'équipe du Dr Anne-Marie Maes. En 1993, elle publiait dans Bioelectromagnetics une revue scientifique américaine de référence, les résultats d'une expérience qui consistait à soumettre in vitro des cellules sanguines humaines (des lymphocytes) à des champs électromagnétiques de 2450 Mhz, mais à des puissances cent fois plus élevées que celles des portables. La distance d'exposition était comparable à celle d'un téléphone mobile, et la durée d'émission variait de trente minutes à deux heures, sans interruption. Les chercheurs belges ont constaté des altérations de l'ADN des chromosomes, d'autant plus nombreuses que le temps d'exposition était long.

Deux ans plus tard, une autre expérience (également publiée dans la revue Bioelectromagnetics), effectuée par l'équipe du Dr Henry Lai, du laboratoire de pharmacologie de l'université de Washington, à Seattle (Etats-Unis), confirmait les travaux du Dr Maes. après avoir soumis des rats à des champs électromagnétiques 2450 Mhz pendant 2 heures en continu, à des puissances cent fois supérieures à celle des téléphones portables, le chercheur a mis en évidence des lésions chromosomiques dans les cellules du cerveau des rongeurs.

Dans le cadre d'une étude non encore publiée, mais présentée en novembre dernier lors d'un congrès scientifique à Vienne (Autriche), le Dr Anne-Marie Maes a refait sont expérience sur les lymphocytes humains. Mais cette fois elle a utilisé les mêmes fréquences que les téléphones cellulaires. Là encore elle a constaté des altérations au sein des chromosomes. L'année dernière, le Dr Henry Lai a également refait ses expériences avec les fréquences de la téléphonie mobile : les résultats étaient similaires à ceux des expériences précédentes.

LYMPHOMES CHEZ LA SOURIS
Chez la souris, le lien entre portables et cancer a été établi en mai dernier par une équipe australienne du Royal Adelaide Hospital, conduite par le Dr Michael Repacholi. Ces travaux on fait l'objet d'une publication dans Radiation Research, une revue scientifique américaine de haut niveau.

Les souris développent très rarement des cancers, même dans les pires conditions environnementale. les chercheurs ont donc utilisé des souris génétiquement programmées pour développer un lymphome, cancer du système lymphatique. Deux lots de 101 souris ont été constitués. L'un a été exposé pendant dix-huit mois à des champs électromagnétiques de même fréquence et rayonnant à la même puissance que les téléphones cellulaires, tandis qu'un groupe témoin était placé dans les conditions normales. Parmi les souris soumises au rayonnement électromagnétique 43 ont développé un lymphome, contre 22 dans le groupe témoin.

Ces résultats ont été cependant contestés par les fabricants de portables, qui ont fait valoir que dès lors que les animaux étaient programmés pour développer un cancer, on ne pouvait attribuer les tumeurs aux ondes électromagnétiques. Il n'empêche que l'exposition aux ondes a entraîné deux fois plus de cancers.

D'une façon générale, tous les résultats mettant en cause la téléphonie mobile sont systématiquement rejetés par les fabricants de portables. Le Dr Henry Lai qui travaillait sous contrat avec Wireless Technology Research (WTR) une société sous la tutelle de fabricants de téléphones mobiles, s'est vu refuser la publication de ses travaux parce qu'ils démentaient le credo des fabricants. Par deux fois, la société WTR lui a retourné sa copie pour qu'il y apporte des retouches : " Ils me demandaient d'interpréter différemment mes résultats afin de les rendre plus favorables à la téléphonie mobile, s'insurge le chercheur.

La même mésaventure est arrivée au biologiste américain Ross Adey, qui effectuait une étude pour le compte de Motorola, l'un des géants mondiaux de la téléphonie mobile. Comme le fabricant refusait d'admettre ses conclusions, à savoir l'effet nocif des ondes électromagnétiques sur des animaux de laboratoire, il a préféré arrêter sa collaboration scientifique. " Tout se passe comme autrefois avec les fabricants de cigarettes, qui refusait de révéler toutes les études montrant les dangers du tabac" proteste henry Lai. Il n'est pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir...

S'il y a un lien entre portable et cancer, il doit se trouver dans les statistiques. Le nombre de décès par tumeur maligne du cerveau au cours des dix dernières années (en France), pour les deux sexes, nous a été communiqué par le service d'information de l'Institut national de la santé : en 1987 on en dénombrait 2119 contre 2774 en 1996 soit une augmentation de 31%.

UNE HYPOTHESE SERIEUSEMENT PRISE EN COMPTE
Le taux d'incidence (nombre de nouveaux cas dépistés chaque année) des cancers du cerveau n'est pas connu. En revanche le Direction de la santé (qui dépend du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité) dispose du taux d'incidence de l'ensemble des cancers du système nerveux central entre 1975 et 1995. Il s'agit à 90 % de cancer de l'encéphale; 6% sont des cancers des méninges cérébrales et les 4 % restant concernent une zone autre ou non précisée du système nerveux. Autrement dit les cancers du tissu cérébral constituent la quasi-totalité des cancers du système nerveux central. Or, en 1975 ces derniers étaient au nombre de 2263 et en 1995 on en comptait 4651 soit un peu plus du double. Selon le Dr Laurence Chérié-Challine, attaché à la division "Observation de la santé alerte" à la Direction générale de la santé, "l'augmentation du nombre de tumeurs cancéreuses s'explique avant tout par un dépistage efficace. Ce qui n'exclut pas que des phénomènes environnementaux soient en cause. L'hypothèse d'une responsabilité des ondes électromagnétiques des portables est sérieusement prise en compte. Seules des investigations plus poussées permettront de déterminer leur rôle exact."

En attendant que la lumière soit faite, certains malades qui s'estiment victimes du portables sont déterminés à aller en justice pour obtenir réparation. Tel est le cas de Ralph Mills, un habitant de Harlow (Essex, Angleterre) chez qui les médecins ont découvert une tumeur de la grosseur d'une balle de ping-pong au dessus de l'oreille droite, du côté ou il plaçait le combiné. En Grande-Bretagne, le réputé cabinet d'avocats Leigh Day & Co compte déjà vingt-quatre clients désireux de poursuivre des fabricants de portables.

En Grande-Bretagne toujours, Richard Branson, le patron de la société Virgin, conseille désormais à son personnel, à la suite du décès par cancer du cerveau de son meilleur ami, de munir leurs portables d'un écouteur et d'un micro afin d'éloigner le plus possible le combiné de la boite crânienne. Un conseil que tous les accros du radiotéléphones devraient suivre. Ils peuvent aussi réduire la durée des communications !

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Science et Vie n°979 d'avril 1999

Robin Des Toits
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