'Ondes : le danger invisible ?' - L'Est Républicain - 16/11/2015



À Belfort, les fréquences testées dès janvier seront trois à trente fois plus élevées qu’actuellement. Elles permettront de développer la future 5G, nécessaire aux objets connectés. Or, de plus en plus de scientifiques demandent que la nocivité des ondes soit reconnue. Photo Lionel VADAM
Wifi, téléphones portables, antennes relais : une nouvelle pollution, inodore et invisible, à la réglementation constestée. À Belfort, Orange Lab testera bientôt de nouvelles fréquences pour la future 5G. Quel impact sur la santé ?

Depuis 2014, on sait que le cerveau des rats s’altère quand il est exposé à la 4G. Alors qu’en sera-t-il avec la 5G, annoncée pour 2020 ? Belfort est en passe de devenir un micro-ondes géant à air libre. La ville vient d’être choisie pour expérimenter les bandes de la future 5G. Orange a un an, officiellement à partir de janvier 2016, pour tester encore davantage de débit, et de nouvelles fréquences permettant de développer les futurs objets connectés. L’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) a donné son accord le 22 septembre. Dans la foulée, le jeune sénateur de droite Cédric Perrin lançait une grande opération « anti-zone blanche » dans ce département qui n’a pourtant plus aucun périmètre réellement protégé.

"J'ai demandé un inventaire des problèmes grâce à un recensement émanant des maires. Tout le monde veut internet et le haut débit aujourd'hui". Cédric Perrin, sénateur.


Mais une vraie différence subsiste entre Belfort et les petites communes, dont neuf connaissent encore « du brouillage », surtout dans les points bas. Poussé par la pression de villageois moins bien servis que les urbains, le sénateur a obtenu des tests auprès du SGAR (Secrétariat général pour les affaires régionales) de Besançon. Des habitants de Boron, Botans, Croix, Dorans, Grosne, Lepuix, Offemont, Villars-le-Sec et Vellescot se plaignent d’un « bâtonnet » faiblard sur leur téléphone portable et de sautes d’internet. « J’ai demandé un inventaire des problèmes grâce à un recensement émanant des maires. Tout le monde veut internet et le haut débit aujourd’hui », dit le sénateur. Comment concilier la demande légitime en nouvelles technologies et l’aspect sanitaire, totalement occulté ? D’autant que l’accélération du développement des outils creuse les écarts : la fameuse « fracture numérique ». Une question d’aménagement du territoire qu’il faut envisager à l’échelle de l’Aire urbaine. « À l’issue des tests, je compte sur le Pôle Métropolitain pour avancer sur ces questions, avec la Cab, PMA et Orange », ajoute Cédric Perrin. L’impopularité des zones blanchâtres est privilégiée au principe de précaution, d’autant qu’aucune association n’est active à ce jour dans le Territoire.

Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR se sont déjà partagé les toits les plus hauts et les collines de Belfort pour assurer une couverture de téléphonie très performante. Les appartements sont dans l’ensemble largement couverts. Dans le secteur nord de Belfort, où les antennes ont fleuri sans résistance depuis la 4G, une mesure de valeurs montre en appartement une moyenne oscillant entre 1,2 à 3,5 volts/mètre avec des pics à 23 près de la box, quand les scientifiques (et militants écologistes) défendent 0,6 v/m, seuil d’exposition recommandé depuis le « Grenelle des ondes » en 2009. En banlieue sud, on dépasse aussi le 1 v/m, avec des pics à plus de 50 vers le futur hôpital et la gare TGV. Aspect positif (et visible) : une connexion internet infaillible. Aspect contestable (et invisible) : une innocuité qui reste à prouver. Trois volts par mètre est tout simplement catastrophique pour une personne électrohypersensible (EHS), sensible plus largement aux champs électriques. « Quand EDF tolère une valeur de 100 ohms pour une prise de terre, je ne supporte que 10 », déclare Françoise. Au-delà, cette enseignante en université développe divers troubles douloureux, dont des migraines et douleurs articulaires. À Pont-de-Roide, Lionel, ex-informaticien, ne supporte plus la moindre exposition et a dû se reconvertir. À l’extrême, Matthias Moser, ex-instituteur allemand, vit dans les prés et fossés du côté du Sundgau, à la recherche de zones « sans ondes ». Il ne vient plus à Boron depuis plus de cinq ans : trop exposé.

"Quand on a rencontré des électrohypersensibles, entendu leur souffrance, on ne peut plus éviter le débat sous prétexte que c'est invisible et faire comme si le problème n'existait pas". Michèle Rivasi, Eurodéputée spécialiste de la question

Or, nous sommes tous électrosensibles, réactifs aux champs électriques, et potentiellement électrohypersensibles : comme pour une allergie, il arrive que le corps ne se défende plus contre les ondes qui agressent les cellules. Ondes qui traversent indifféremment les murs et les cerveaux. Le nombre d’électrohypersensibles (EHS) d’ailleurs ne cesse d’augmenter, alertent les associations de défense, et l’unique consultation nationale du docteur Belpomme, cancérologue à Paris, est saturée. « Nous avons vu une nette augmentation des consultations avec la 4G », confirme Christine Campagnac, chef de projet à l’Artac (association de recherche indépendante). « Avec la 5G, de nouvelles fréquences viendront se surajouter, de nouvelles pollutions donc ». Les bandes passantes seront larges. « Une fois enclenchée, l’électrohypersensibilité, qui se traduit par une réaction exacerbée, se manifeste à des seuils de plus en plus bas. » Elle apparaît également lors d’expositions chroniques, même de faible niveau. « Nous voyons des enfants gravement touchés, qui ne peuvent plus être scolarisés » témoigne Mme Campagnac. Il existe aussi des « patients cachés » dont l’électrohypersensibilité n’a pas été diagnostiquée, explique-t-elle. Ils peuvent alors être traités pour dépression, sclérose en plaque ou Parkinson par exemple. « Certains deviennent chimico-sensibles à force de traitements allopathiques inadaptés », prévient-elle. Une avancée est espérée : « Le professeur Belpomme a identifié des bio-marqueurs », poursuit la représentante de l’Artac, « et un rapport signé d’experts a été rendu à l’OMS et à l’Onu pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité en France ».

Un problème de santé publique, tel que le scandale de l’amiante, est à craindre dans les années proches. À Paris, dans le doute, comme à Bruxelles après de nombreux bras-de-fer, le rayonnement des antennes relais a été bridé, au grand dam des opérateurs. À Paris, les antennes rayonnent moins fort qu’à Belfort !

Alors s’il persiste quelques zones grises dans le Territoire de Belfort, est-ce réellement problématique ?

Les élus qui se sont intéressés à ce sujet polémique, dont l’eurodéputée Michèle Rivasi, spécialiste de la question, demandent une nouvelle mise en œuvre des antennes (plus d’antennes mais de faible puissance et orientées pour ne pas nuire aux habitants), de la transparence, ainsi que la création de zones blanches. « Je plaide pour la création d’un quartier en zone blanche par secteur », dit-elle, en avant-garde. « Quand on a rencontré des électrohypersensibles, entendu leur souffrance, on ne peut plus éviter le débat sous prétexte que c’est invisible et faire comme si le problème n’existait pas. »

Chez Orange, la direction affirme qu’il n’y a aucun danger pour la population. Les salariés de Belfort ont reçu l’interdiction de parler de leurs travaux. Les portes du laboratoire s’ouvriront en janvier, lors d’une visite de presse planifiée. A priori, les expérimentations de nouvelles fréquences ont lieu en laboratoire, sur le Techn’Hom, à proximité d’une crèche donc, ainsi que dans tout lieu extérieur, à l’aide d’une camionnette : à l’insu des habitants. Sur ce point, le service communication d’Orange reste évasif. La mission, elle, est claire : il s’agit « de caractériser la transmission des ondes dans de nouvelles bandes de fréquence, pour évaluer la pertinence de ces bandes de fréquence pour la 5G ». L’expérimentation, inscrite dans un projet européen, prévoit de mesurer, « avec un équipement spécialement développé par l’opérateur, la manière dont se propagent les ondes selon les conditions climatiques et les variations de l’environnement naturel ». Principalement dans des zones très occupées. Le déploiement de la 5G est prévu en 2020, pour accompagner les outils connectés. « Ces bandes ont un potentiel de propagation plus limité que celles que nous connaissons aujourd’hui, la question est donc de savoir comment est ce canal radio, quels sont son comportement et ses caractéristiques », dit-on aussi chez Orange. Les fréquences testées seront de 3 à 30 fois plus élevées que celles actuellement utilisées en téléphonie. Or, aucune étude n’est menée en parallèle sur « le vivant » : quel impact sur l’homme ?

"La Corée a déjà commencé à travailler sur les objets connectés. On ne peut pas se permettre d'être en retard". Sylvie Dupret-Voisin, service communication d'Orange

Si les enfants ont de nouvelles insomnies, et les femmes des migraines, nausées, douleurs oculaires et autres signes non reconnus par la médecine française, mais reconnus en Angleterre, en Suède, en Autriche, en Allemagne, comment le saura-t-on ? D’autant que les signes d’électrohypersensibilité se manifestent de façon aléatoire, en fonction du degré et de la durée d’exposition… Si personne ne réagit biologiquement aux fréquences de la 5G, on ne le saura pas non plus. Aucune enquête sanitaire n’accompagne les tests ni l’installation de nouvelles antennes, de cet opérateur ou d’un autre. « La Corée a déjà commencé à travailler sur les objets connectés », ajoute Sylvie Dupret-Voisin pour Orange. « On ne peut pas se permettre d’être en retard. » Elle assure que « tout est sous contrôle ». Hormis sanitaire, mais ce n’est pas du ressort des opérateurs.

Ce qui est sûr, c’est que pour un électrohypersensible, comme Nadine à Offemont, Lionel à Pont-de-Roide, les antennes relais installées sur les châteaux d’eau, au sommet des collines ou dans les clochers provoquent des douleurs et troubles cognitifs à leur approche, rendant la vie impossible. Et que notre belle Franche-Comté, si « nature », est de plus en plus exposée aux nouvelles pollutions environnementales, dont on sait qu’elles débouchent sur des « maladies émergentes ».

Le Territoire de Belfort, en allant vers le tout numérique tête baissée, n’oublie-t-il pas d’appliquer le principe de précaution ? Principe inscrit depuis février 2015 dans la loi « relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques ». La loi institue le principe de précaution comme « démarche prioritaire » face aux risques sanitaires potentiels des ondes électromagnétiques. « On ne nous en a jamais parlé », glisse Michel Berné, président de l’association des maires du Territoire pendant vingt ans, maire honoraire désormais. Or, « les arguments scientifiques soulignent la nocivité avérée des ondes pour la santé » : c’est ce qu’écrit le professeur français Roger Santini, noir sur blanc, dans son rapport d’avril 2006, appelant d’abord à l’application immédiate du principe de précaution. Et l’on trouve, dans les nombreux documents disponibles, un rapport de la Nasa – publié sur le site de Robin-des-Toits – décrivant dès 1981 l’ensemble des symptômes de l’électrosensibilité. À l’inverse, le neurologue français Jean-Pierre Marc Vergne rappelle que nombre de scientifiques – et opérateurs de téléphonie – soutiennent que les ondes ne sont pas responsables des symptômes décrits par les électrohypersensibles. Selon eux, la sensibilité serait due à plusieurs facteurs simultanés. « Je constate juste que je ne peux même plus entrer dans un magasin avec mes copines », commente Nadine, qui a totalement « nettoyé » son appartement des appareils sans fil et sait, par expérience, qu’elle réagit d’abord aux micro-ondes.

Si l’État n’a pas encore pris position vis-à-vis de la nocivité des ondes, divers rapports montrent depuis dix ans que des modifications biologiques sont à craindre, comme l’a reconnu l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail en 2013, sans juger nécessaire de modifier les seuils limites. Une augmentation des cancers est redoutée. Outre l’altération des fonctions cognitives des rats exposés à la 4G (2014), une étude suédoise a aussi révélé que le risque de cancer du cerveau serait accru de 300 % dans le cas d’une utilisation intensive du téléphone portable. Des cassures d’ADN seraient provoquées après 30 minutes d’exposition. Par ailleurs, plus de 200 scientifiques, chercheurs et ingénieurs ont lancé cette année un appel international à l’ONU sur le danger des ondes. L’électrohypersensibilité toucherait tout de même entre 1,5 et 10 % de la population française. Et une personne sur deux à la fin du siècle !

Le gouvernement a commandé cette année un nouveau rapport, mais il vient aussi dans le même temps d’enlever aux maires la possibilité d’appliquer le principe de précaution : depuis septembre 2015, la compétence leur a été retirée. Le « tout numérique » peut donc avancer à 100 % sur l’ensemble du territoire national, sauf résistance des citoyens. Le recours à la fibre optique, coûteux, semble actuellement la meilleure solution.

À Belfort, bassin industriel paupérisé où l’on craint toute dégradation de l’emploi, la chasse à l’innovation apparaît comme un sésame absolu. La future 5G est d’abord vue sous l’angle de l’exploit technologique. Hormis par les mieux informés, ou par quelques médecins qui s’expriment en privé. Si l’on enseigne aux lycéens qu’il faut couper leur portable pour protéger leur santé et celle du voisin, le principe de précaution voudrait qu’on s’abstienne d’arroser la ville de nouvelles ondes sans en étudier l’impact sanitaire « sur le vivant » en même temps. Ce qui est du ressort de nos élus. Tout comme le choix d’antennes faiblement émettrices. Invisibles, inodores et si complexes… les ondes sont (vraiment) parmi nous.

Christine RONDOT

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Source : http://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2015/11/16/ondes-le-danger-invisible

Robin Des Toits
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