« On a souvent des maux de tête, certains de nos collègues se sont mis à saigner du nez en travaillant, sans savoir vraiment pourquoi. Sur un même pylône, on peut couper l’émission des ondes de notre opérateur mais pas celles des autres », témoigne sous anonymat un technicien, sous-traitant d’Orange, s’apprêtant à monter des panneaux 4G sur un mât d’une vingtaine de mètres, aux portes de l’agglomération grenobloise. « Pour les gens qui vivent dans les lotissements alentours, c’est dangereux, mais pour nous qui passons des heures tout près des antennes, c’est catastrophique ». s’indigne le jeune homme, appuyé par ses collègues. «Ce métier est trop dangereux. Je ne ferais pas cela toute ma vie ».
Des chiffres embarrassants
Les conclusions de l’expérimentation grenobloise menée depuis 2009 sur les ondes électromagnétiques « ont montré qu’il était possible d’abaisser l’exposition du public à 0,6 V/m [seuil préconisé par le Conseil de l’Europe depuis mai 2011 dans sa résolution 1815] pour éviter les risques, à condition de multiplier le nombre d’antennes-relais par 1,6 sur la commune ». Des chiffres qu’il sera bien difficile de cacher aux habitants de la métropole grenobloise.
Le 28 janvier dernier, l’association « Robin des Toits », réputée pour son combat acharné contre les ondes électromagnétiques, publie un communiqué de presse qui fait l’effet d’une bombe. « Robin des Toits suspend sa participation au COPIC, comité d’expérimentation de l’abaissement de l’exposition du public à 0,6 V/m » (Comité de pilotage issu du Comité Opérationnel, COMOP, ndlr). Furieux contre l’Agence nationale des fréquences (ANFR) qui souhaiterait « ajouter de nouveaux objectifs à l’expérimentation grenobloise et ainsi dégommer le 0,6 V/m » , Étienne Cendrillé, porte-parole de l’association, ne manque pas de dénoncer le lobby des groupes de téléphonie mobile : « Ces résultats sont embarrassants pour les opérateurs car il leur faudrait reconfigurer le réseau d’antennes-relais ».
Un comité contre les ondes
Tout commence en juillet 2009 lorsque Chantal Jouanno, alors secrétaire d’État chargée de l’écologie, et Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’économie numérique, portées par l’enthousiasme du Grenelle des ondes de février 2009, mettent en place un comité opérationnel (COMOP) réunissant État, collectivités locales, opérateurs de téléphonie mobile et associations. En plein développement du réseau 3G, annoncé comme une révolution technologique par les opérateurs, le nouveau comité se targue de montrer que l’État prend enfin le sujet des risques liés aux ondes au sérieux.
Le COMOP est chargé d’effectuer des expérimentations dans plusieurs communes de France pour évaluer les « conséquences d’une diminution de l’exposition aux ondes et mesurer ainsi l’impact sur la couverture réseau, la qualité du service rendu aux usagers, le nombre d’antennes et l’exposition des utilisateurs ». Fin 2009, 17 collectivités sont retenues, dont Grenoble. Une aubaine pour son maire, Michel Destot, souhaitant rassurer les Grenoblois alors que des antennes relais installées au cœur du quartier de la Villeneuve n’avaient cessé depuis 2007 d’agiter la ville, les collectifs militants parvenant finalement, après une bataille sans merci, à faire retirer les émetteurs quelques années plus tard.
De l’union à l’affrontement politique
Depuis le coup de gueule de l’association Robin des Toits fin janvier, l’expérimentation de Grenoble est plongée dans l’impasse. Les élus écologistes de la ville accusent la mairie de ne pas rendre publics les premiers résultats des mesures : « Michel Destot s’est engagé sur cette expérimentation. Si Robin des Toits dispose de certains chiffres, le maire d’une ville doit les avoir lui aussi », s’insurge Enzo Lesourt, porte-parole d’Europe-Ecologie-Les-Verts (EELV) à Grenoble.
Du côté des responsables de la mairie, on se défend de toute censure, tout en accusant les écologistes de vouloir instrumentaliser le dossier grenoblois : « Nous sommes pour la transparence, mais je demande aux écologistes de ne pas mélanger cette expérimentation locale avec le grief qui les oppose aux socialistes depuis le rejet, en commission, de la proposition de loi sur les ondes électromagnétiques à l’Assemblée Nationale. Laissons l’expérimentation se terminer », insiste le conseiller municipal PS chargé des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), Gildas Laeron.
4G, le très haut-débit qui fait bondir
Bien plus que l’affrontement sur le dossier de l’expérimentation grenobloise, c’est l’installation de la 4G qui cristallise le débat. Olivier Bertrand, conseiller général EELV, l’admet volontiers : « Ce n’est pas tellement un conflit entre écologistes et socialistes. Le vrai problème, c’est que pendant ce temps là, les opérateurs gagnent du temps en installant la 4G sur Grenoble ».
Une manœuvre que condamne Enzo Lesourt : « Il a fallu quasiment quatre années de travail au comité pour démontrer qu’un abaissement du taux d’émission à 0,6 V/m était possible et maintenant, au terme de l’étude, les opérateurs installent la 4G alors même qu’on ne connaît absolument pas la puissance de ces nouvelles antennes et leurs conséquences sur la santé ».
Une situation inquiétante même si les opérateurs maintiennent que les puissances des nouvelles antennes ne seront pas augmentées par rapport à la 3G. « Nous respectons la réglementation. Le réseau est déjà installé dans d’autres pays sans problèmes », se défend le service presse d’Orange. A Paris, en décembre dernier, l’association «Robin des Toits» a pourtant déposé un recours en justice pour que soit rediscutée la nouvelle charte de téléphonie mobile liant la mairie et les grands opérateurs, fixant à 7 V/m le seuil maximal d’exposition pour la nouvelle 4G.
A qui la faute ?
Pour Gildas Laeron, les communes sont aujourd’hui démunies face aux opérateurs : « A défaut d’avoir de nouvelles réglementations, ils continuent de s’installer. La ville accorde les autorisations d’un point de vue urbanistique seulement. C’est à l’État de jouer son rôle ». Le 26 octobre 2011, le Conseil d’État avait d’ailleurs jugé que « seules les autorités de l’État désignées par la loi étaient compétentes pour réglementer l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile » alors que les maires de trois communes (Saint-Denis, Pennes-Mirabeau et Bordeaux) avaient entendu réglementer de façon générale l’implantation des antennes de téléphonie mobile sur le territoire de la commune, notamment au nom du principe de précaution.
Au-delà des opérateurs, certains acteurs locaux ont aussi une lourde responsabilité dans l’installation des antennes : « Pour s’installer sur les toits, les opérateurs versent de grosses sommes aux bailleurs ou aux syndics de copropriété », commente Jacqueline Collard, présidente de l’association, « Santé-Environnement en Rhône-Alpes » (SERA). Une manière d’acheter le silence des habitants en promettant en échange « des baisses de charges ou des loyers » alors qu’ « il suffirait d’une seule opposition dans le bâtiment pour que l’antenne ne soit pas installée ».
Le conseiller général de l’Isère, EELV, Olivier Bertrand, désabusé, rappelle à quel point le rapport de force entre l’État et les opérateurs est déséquilibré : « Les opérateurs sont surpuissants. Face à cela, il faudrait un véritable courage politique ». En colère, l’élu se scandalise d’observer que « les arguments commerciaux prennent toujours le dessus sur la santé publique ». Le 30 janvier dernier, un jour avant que la proposition de loi sur les ondes ne soit jetée aux oubliettes, la ministre déléguée à l’Économie numérique, Fleur Pellerin, déclarait : « La nocivité des ondes électromagnétiques n’est pas scientifiquement étayée. La 4G représente un investissement de 3 milliards d’euros sur cinq ans et des dizaines de milliers d’emplois ».
Des risques avérés
« Des centaines d’études prouvent que les ondes ont des effets néfastes sur la santé. » assure Jacqueline Collard en s’appuyant sur le rapport « Bio Initiative » publié pour la première fois en 2007 et remis à jour en 2012, réunissant près de 1800 études internationales.
Ancienne propriétaire d’une maison située à deux pas de Grenoble, sur la commune de Gières (38), et près d’une antenne relais, Giselle a commencé à ressentir il y a six ans « des maux de tête et de la fatigue » jusqu’au jour où elle s’est rendue compte qu’elle habitait dans une zone à risques : « Certains de mes voisins avaient des symptômes similaires mais je me suis retrouvée un peu seule à me battre. Les gens sont démobilisés d’avance. Aujourd’hui les antennes sont toujours dressées ». Après avoir été reconnue comme « hyper-électrosensible » par le professeur Delpomme à Paris, médecin et professeur réputé de cancérologie, cette membre de l’association SERA a déménagé.
Le 7 février 2013, la proposition de loi des écologistes à l’assemblée nationale visant à faire « appliquer le principe de précaution aux risques résultant des ondes électromagnétiques » et réclamant que « les équipements soient obligatoirement implantés à une distance d’au moins 300 mètres d’un bâtiment d’habitation ou d’un établissement dit sensible » était retoquée en commission.
En attendant une sortie de crise à Grenoble, les écologistes ont saisi le maire afin qu’il procure tous les documents ayant traits à l’expérimentation. Un véritable ultimatum indique Enzo Lesourt : « Si d’ici un mois nous n’avons pas de réponses, nous pourrons légalement procéder à un recours au près de la Commission d’Attribution des Documents Administratifs » (CADA).
Bonnehorgne Xavier
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