'Mobile,wifi, Bluetooth… Les ondes vont-elles nous tuer ?' - Enquête Marie-Claire - Février 2009


Et si le high-tech était le prochain scandale sanitaire? De la migraine à la tumeur, certains effets néfastes sont prouvés. Entre industriels rassurants et scientifiques affolés, notre enquête sur un sujet ultrasensible.



- Par Caroline Rochet.
Photos Christian McManus. Portraits Franck Courtès.
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Ça peut vous arriver du jour au lendemain: grosse fatigue, maux de tête, insomnies, irritations des yeux… autant de symptômes qui empirent dans les lieux fréquentés (métro, gares, bars), face à votre ordinateur ou en passant un coup de fil. Vous n’y comprenez rien, votre médecin non plus, et pourtant cette curieuse maladie porte un nom: l’électrosensibilité. Autrement dit: un rejet physique des champs et ondes électromagnétiques qui nous entourent. Vous n’en aviez jamais entendu parler ? Préparez-vous à ce que ça change, car ça pourrait bien être l’un des scandales sanitaires du siècle.

DE QUOI PARLE-T-ON ?
L’électrosensibilité (ou «hypersensibilité électromagnétique») – dont le doux nom pourrait désigner un penchant particulier pour la musique électro – est un fléau bien identifié. Elle caractérise les problèmes de santé dus à l’exposition aux champs électromagnétiques, soit les antennes relais de téléphonie mobile, lignes à haute tension, écrans d’ordinateur, wifi et autres téléphones portables – bref, tout notre environnement «naturel» (!) du XXIe siècle. Les symptômes, ultra-variés, peuvent être bénins ou affecter si gravement les gens qu’ils sont obligés de totalement changer de vie. Comme Matthias Moser, dit «Matthias des bois», ancien instituteur qui ne peut plus habiter en agglomération et réside désormais dans un champ, sous une bâche…
Si on entendait peu parler de ce phénomène il y a quelques années, le buzz prend de plus en plus d’ampleur: les études scientifiques se multiplient (mais sont souvent étouffées), certains gouvernements (comme celui de la Suède) le reconnaissent officiellement comme handicap, et selon les pays, les proportions d’électrosensibles varient de quelques individus (sur 1 million) à 8 % des personnes interrogées. En France, la résistance s’organise: procès intentés aux opérateurs ou aux propriétaires d’immeubles autorisant la pose d’antennes, lutte contre les antennes relais trop proches des écoles (voir encadré), lanceurs d’alerte, syndicats (bibliothécaires de la Ville de Paris souffrant du wifi)… On s’affole.

QUAND NOTRE CORPS PASSE AUX MICRO-ONDES
Pour qui n’est pas scientifique, ça peut paraître abstrait, mais le principe de l’électrosensibilité est simple. On l’utilise d’ailleurs tous les jours, via notre four à micro-ondes. Les ondes électromagnétiques, absorbées par les molécules d’eau de notre corps, les entraînent à se frotter, ce qui produit de la chaleur – d’où l’impression d’oreille qui chauffe, parfois ressentie lors d’un appel prolongé sur le mobile… Bien entendu, ces micro-ondes ne sont pas fortes au point de nous cuire comme un poulet, mais parfois bien assez pour provoquer les symptômes décrits plus haut. Peut-être parce que les normes d’émission maximale de ces ondes dépassent monstrueusement ce que l’ensemble des scientifiques préconise? Ces derniers estiment en effet que, pour préserver notre santé, elles ne devraient pas excéder 0,6 V/m, alors que la loi française les a fixées à… 41 V/m! Nul besoin d’être expert pour comprendre qu’il y a là un problème au niveau des chiffres. Surtout quand l’ancien responsable de ce sujet à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Michael Repacholi, reconnaît que ce taux n’a pas été fixé en fonction des données scientifiques mais selon des accords avec… les industriels. Oui, ceux-là mêmes qui nous vendent des téléphones.

DANGER: MAIS QUE FAIT LA POLICE ?
Le nombre de personnes souffrant de ces maux monte en flèche, et la communauté scientifique donne l’alarme. Pourtant, quand on interroge l’OMS ou le ministère de la Santé sur le sujet, c’est le black-out : même s’ils reconnaissent le syndrome et recommandent un «usage modéré» pour les enfants, ils estiment qu’aucune étude scientifique n’a encore réellement prouvé le lien entre l’exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes des électrosensibles. Et l’OMS d’ajouter: « S’il y avait de quoi s’alarmer, on vous le dirait.» Vraiment? Pourtant, en 2007, une synthèse d’experts scientifiques du monde entier – le rapport BioInitiative, fruit de mille cinq cents travaux internationaux sur les champs électromagnétiques, validé par l’Agence européenne de l’environnement– a fait l’effet d’une bombe. Ses conclusions sont accablantes: perte d’étanchéité
de la barrière sang/cerveau, génotoxicité (cassures de l’ADN), perturbation des cellules, effets sur le système immunitaire, troubles du comportement et du sommeil, formation de tumeurs au cerveau, leucémies… Les faits sont là.
Le professeur Leif Salford, chercheur en neurocancérologie à Lund (Suède), a carrément déclaré : «Un adolescent qui a un portable contre la tête une demi-heure ou plus par jour aura un Alzheimer à 30 ans.» Et selon le professeur Dominique Belpomme, éminent cancérologue (1), il n’y a plus de débat : « Il faut arrêter de botter en touche! Le lien est fait entre téléphones portables et cancer du cerveau: il y a un risque de développer une tumeur cérébrale ou du nerf acoustique après dix ans d’utilisation pendant plus d’une heure par jour. Il est également prouvé que les enfants vivant à proximité de lignes à haute tension développent davantage de leucémies. Nous sommes dans un déni scientifique, comme à l’époque où les marques de cigarettes tentaient d’étouffer ceux qui voulaient avertir le public des dangers du tabagisme.»

UNE ÉCONOMIE QUI PÈSE LOURD
Un avis partagé par l’association Robin des toits, qui lutte pour obtenir une réglementation compatible avec la santé publique :
«Que fait l’Etat? Pourquoi ne baisse-t-on pas les taux d’exposition aux ondes face à de telles preuves ? Et où sont les campagnes de prévention?» s’interroge le porte-parole de l’association, Etienne Cendrier (3). Aux dernières nouvelles, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé préparerait enfin une campagne. Lors du Grenelle de l’Environnement, une proposition de Robin des toits visant à baisser le seuil d’exposition aux ondes à un niveau respectueux de la santé avait été retenue. Depuis, elle semble avoir été reléguée aux oubliettes. Récemment, Etienne Cendrier s’est vu répondre par le secrétariat d’Etat chargé du Développement de l’économie numérique qu’il n’y avait « aucune volonté politique d’abaisser les seuils d’exposition ». La raison ? « Les opérateurs ne sont pas d’accord»… Ça laisse sans voix. Serait-ce à Bouygues Telecom, SFR et Orange de décider de notre santé ?
C’est que le marché de la téléphonie mobile pèse lourd : 52 millions de clients, 21 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit une contribution non négligeable à la richesse nationale. A noter : ces industriels financent 95% des études scientifiques sur le sujet (le rapport BioInitiative n’en faisant pas partie, bien sûr). Etudes qui, comme le rapporte l’épidémiologiste américain George Carlo, trouvent généralement six fois moins de résultats inquiétants que celles financées de façon indépendante. Remarquons au passage que ces opérateurs n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.
C’est bien dommage.

UNE SOLUTION
Bonne nouvelle : nous pourrions parfaitement garder un réseau impeccable, et le confort du téléphone mobile avec, sans pour autant se ruiner la santé. La parade ? Multiplier les antennes relais, ce qui permettrait de baisser drastiquement le niveau d’émission de chacune d’elles. Mais là encore, les opérateurs refusent : c’est que la pose d’une antenne coûte cher – environ 100 000 € – et qu’il est plus aisé de booster leur puissance (au détriment de notre santé) que d’en installer de nouvelles.
Pourtant, en 2003, la moitié des Français se déclaraient déjà inquiets face aux antennes relais, et d’après une récente étude (TNS Sofres), un Français sur trois pense que le téléphone mobile est dangereux pour la santé. Rappelons que, selon l’article 1 de la Charte de l’Environnement: «Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Il serait temps d’honorer cet article, avant qu’il ne soit trop tard.

QUE FAIRE POUR SE PROTÉGER ?
Si notre article vous fait paniquer, rassurez-vous: il existe des solutions pour réduire les risques en attendant que la loi change. Notre top 10 des conseils des experts.

1. Pas de portable pour les enfants avant l’âge de 15 ans.
2. N’appeler que lorsque le réseau est très bon (sinon, pour fonctionner, le téléphone rayonne encore plus fort).
3. Pas de portable en voiture, train, métro… Le déplacement oblige en effet le téléphone à sans cesse chercher du réseau, augmente la puissance d’émission des ondes, et la structure métallique autour les emprisonne et les répercute sur vous (effet «cage de Faraday»).
4. Utiliser systématiquement un kit piéton (avec fil).
5. Désactiver le wifi sur les box Internet et préférer une connexion filaire.
6. Reprendre l’usage du téléphone fixe… mais pas un sans-fil ! Un bon vieux combiné classique. Ça tombe bien: les fabricants en proposent de très beaux en ce moment.
7.Ne pas porter votre téléphone mobile contre le coeur, l’aisselle, la hanche ou près des parties génitales (oui, on oublie les poches).
8. Limiter le nombre et la durée des communications (l’idéal : pas plus de cinq appels de 3 min par jour).
9. Eteindre votre téléphone portable la nuit (vous verrez, votre sommeil changera radicalement).
10. Penser au «téléphonisme passif»… Eloignez-vous de vos amis quand vous passez un coup de fil.

LES FEMMES ENCEINTES ET LES ENFANTS D’ABORD

Les petits absorbent 60% plus d’ondes que nous !

Les scientifiques sont unanimes: c’est pour les enfants et les foetus que le danger est le plus grand. Le cerveau des petits, dont la paroi crânienne est plus fine que celle des adultes, est non seulement plus sensible aux ondes électromagnétiques (il en absorbe 60 % de plus que nous), mais aussi en plein développement. Sans oublier qu’eux sont « nés dedans » et y seront exposés à vie.
En 2006, 70 % des Européens de 12-13 ans et 23 % des 8-9 ans possédaient déjà un mobile, qu’ils utilisent souvent en continu (SMS, photos, jeux…) Bien sûr, opérateurs (en 2007, SFR proposait «une offre renversante» pour équiper les petits) et fabricants (le MO1 d’Imaginarium dès 6 ans) font tout pour les « draguer ». Ce pourrait changer car, suite au Grenelle de l’Environnement, une interdiction de publicité à destination des enfants est actuellement examinée.
A souligner: la console de jeux Wii (utilisant le Bluetooth) ou le lapin Nabaztag (fonctionnant par wifi) les exposent aussi aux ondes.
Concernant les antennes relais, des associations se battent pour les éloigner des écoles. On se remémore l’affaire de Saint-Cyr-l’Ecole (Yvelines): onze cas de cancers relevés en douze ans (soit deux à trois fois plus que la normale, dont deux décès dus à la rare tumeur du tronc cérébrale) dans un établissement coiffé de quatre antennes relais. A Grasse (Alpes-Maritimes), SFR a été condamné à déplacer une antenne proche d’une école à la suite de troubles de santé des enfants. A Courbevoie (Hauts-de-Seine), le maire a supprimé les installations wifi des écoles de la commune.
Le foetus est aussi très vulnérable: ses cellules et l’eau du placenta sont très sensibles à l’énergie d’un téléphone mobile. Le professeur Belpomme insiste: les femmes enceintes ne doivent jamais approcher un portable de leur ventre, et doivent cesser de l’utiliser pendant la grossesse et supprimer le wifi de chez elle. Avis aux futures mamans…

1. Président de l’Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (Artac, www.artac.info), auteur d’«Avant qu’il ne soit trop tard»

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TEMOIGNAGES :

Silvana - 31ans, attachée de presse

«J’ai des migraines terribles qui se sont soldées par l’explosion d’une veine dans ma tête.»

« Mon cas n’est pas très grave, mais assez clair pour être gênant. Depuis que j’en parle, j’ai découvert que beaucoup de gens en souffrent. Tout a commencé par des migraines terribles, surtout la nuit, qui se sont soldées par l’explosion d’une petite veine dans ma tête. A l’hôpital, ils m’ont fait des examens, et lors de l’IRM, les douleurs ont repris. Je vis dans un immeuble composé uniquement de studios, et au mois de septembre, beaucoup d’étudiants avaient emménagé, apportant avec eux leurs box Internet. Je recevais une quinzaine de réseaux wifi chez moi! Surtout, ma voisine avait installé son émetteur contre la paroi jouxtant mon oreiller. Quand j’ai fait le lien, je suis allée voir tous mes voisins. Certains n’y croyaient pas, mais la plupart ont bien voulu revenir à la connexion filaire: depuis que je ne reçois que deux ou trois réseaux chez moi, tout va bien. L’impact des ondes est scandaleux. Il faut en parler, il faut que les choses bougent. »

André - musicien, marié, père de deux enfants de 9 et10 ans

« Pour blinder le passage des ondes, j’ai dû recouvrir mes murs d’aluminium. »

« C’est arrivé d’un coup, il y a deux ans : maux de tête, trous de mémoire, vue trouble, insomnies, mal dans les os… Ça a très vite dégénéré. Je n’ai pas compris tout de suite, et les médecins non plus, évidemment. Quand j’ai remarqué que ça allait mieux hors de mon appartement, j’ai fait le lien avec ces antennes relais UMTS* que des ouvriers posaient sur mon toit, et la carte
wifi que je venais d’installer dans ma Freebox. J’ai alors cherché des informations et découvert l’association Robin des toits. Avec l’électrosensibilité, ma vie a changé: musicien, je ne peux plus assurer ni concerts ni tournées. Et encore, j’ai de la chance, puisque j’ai trouvé le moyen de continuer à vivre de la musique en restant chez moi – certains doivent totalement renoncer à leur métier, leurs passions…
Ma casquette et mon gilet sont tapissés d’une feuille d’argent, pour blinder le passage des ondes. J’ai aussi dû équiper mes fenêtres de rideaux protecteurs et recouvrir les murs de mon appartement de feuilles d’aluminium. Aujourd’hui, je suis responsable du réseau électrohypersensibilité de Robin
des toits, qui met en relation les gens comme moi.
Dieu merci, ma femme est mes enfants ne sont pas électrosensibles… Mais du coup, ils sont très au courant des risques des technologies sans fil! »

(*) Qui permettent de recevoir la 3G et le Web sur les téléphones
mobiles, encore plus puissantes que les classiques.

Robin Des Toits
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