'Le téléphone mobile nuit-il à la santé' ? Le Monde.fr - Chat avec Jeanine le Calvez de l'association Priartèm

Questions / Réponses sur les dangers de la téléphonie mobile : antennes relais et téléphones portables sur la santé. Chat sur le site du Monde.fr du 20/09/2006



Ontheroadagain : Existe-t-il à ce jour une étude sérieuse, sur un nombre conséquent d'utilisateurs et une durée suffisante, pour avoir une attitude autre que celle due au devoir de précaution ?

Janine Le Calvez : Ma réponse sera double. S'il s'agit d'une étude sérieuse, avec un panel suffisant, je pense qu'on peut se référer à la dernière étude suédoise publiée, qui émane de l'Institut national du travail, dirigé par Kjell Mild, et qui a porté sur 2 200 personnes dont 905 atteintes d'une tumeur maligne, d'un cancer au cerveau. Ce chercheur dit lui-même que c'est le panel le plus important. Cette étude est importante car les Suédois sont ceux qui ont utilisé le plus rapidement, massivement, la téléphonie mobile. Cela signifie qu'ils ont un recul plus important que les autres pays européens sur cette question.

Cette étude fait apparaître une multiplication par 2,4 des risques d'apparition de cancer. Elle montre une corrélation entre le côté d'apparition de la tumeur et le côté d'utilisation du portable. Elle fait apparaître par ailleurs une augmentation importante du risque avec la durée d'utilisation : le risque est plus fort au bout de dix ans d'utilisation. C'est l'un des derniers résultats que nous connaissons depuis le printemps de cette année.

Mais il n'est pas le seul à nous alerter. L'OMS a lancé il y a déjà plusieurs années, environ six ans, un grand programme de travail sur les utilisateurs de portable et les risques de tumeur, nommé programme Interphone. Nous ne disposons pas aujourd'hui de tous les résultats d'Interphone, mais les quelques résultats dont nous disposons sont intéressants à étudier.

Le premier dont nous avons eu connaissance est celui d'une étude suédoise qui, elle, vient de l'Institut de médecine environnementale suédois (Karolinska). Cette étude a montré une multiplication par 4 des risques d'apparition d'une maladie qu'on appelle le neurinome de l'acoustique, qui est une tumeur non cancéreuse, mais invalidante, du nerf auditif, au-delà de dix ans d'utilisation. En deçà de dix ans, l'équipe n'observait aucun effet statistiquement significatif.

La deuxième étude publiée dans le cadre du programme Interphone est une étude danoise, qui portait toujours sur le neurinome de l'acoustique, et qui elle n'observait aucun effet. A l'analyse, il apparaissait qu'elle ne venait pas du tout contredire l'étude précédente, puisque les patients observés étaient des utilisateurs depuis moins de dix ans. Comme quoi on peut avoir des résultats qui apparaissent contradictoires alors qu'en fait ils ne le sont pas.

Il en va de même, toujours dans le cadre du même programme, d'une étude anglaise qui n'observe aucun effet sur le gliome (tumeur maligne du cerveau) mais observe cependant une corrélation forte entre le côté d'apparition du gliome et le côté d'utilisation du portable. L'équipe anglaise en concluant qu'il s'agit simplement d'un biais de collecte. Là aussi, résultats apparemment contradictoires qui, de fait, confortent les résultats de l'Institut national du travail suédois.

Une étude allemande sur le gliome, dans le cadre d'Interphone, conclut qu'il n'y a pas d'effet, alors qu'à l'analyse des résultats publiés, il apparaît qu'au-delà de dix ans d'utilisation, il y a une multiplication par 2,2 des cas de gliome. Ces résultats n'ont pas été retenus par l'équipe allemande, car elle considérait que le nombre de cas d'utilisateurs de plus de dix ans n'était pas suffisant.

Cela signifie en tout cas que nous commençons aujourd'hui à avoir suffisamment de résultats épidémiologiques pour, non pas interdire le portable, mais informer les populations des risques encourus. Ce qui n'est pas du tout fait.

Seb : Est-ce que ce sont les antennes-relais ou les téléphones mobiles qui sont nuisibles à la santé ?

Janine Le Calvez : Evidemment, les ondes de la téléphonie mobile sont les mêmes qu'il s'agisse des portables ou des antennes-relais. Simplement, dans un cas (le portable), vous avez une exposition plus forte mais de plus courte durée – et surtout d'une durée que vous pouvez maîtriser vous-même –, alors que dans l'autre cas, l'exposition est plus faible, mais elle est chronique.

Or un certain nombre de chercheurs ont montré ce qu'on appelle les effets cumulatifs de l'exposition aux champs électromagnétiques, et montrent que les effets sont comparables dans le cas d'une exposition chronique à plus faible dose et dans le cas d'une exposition plus courte à plus forte dose.

Donc pour moi, s'il y a un risque, le risque sera pour tous. Ce qui signifie que les populations concernées seront très importantes. Plusieurs millions d'utilisateurs de portable, plusieurs centaines de milliers de riverains d'antennes.

Emilien : Tous les usages sont-ils dangereux ? En dessous d'une certaine durée passée au téléphone, sommes-nous protégés du risque ?

Janine Le Calvez : Je pense qu'on ne peut suivre que les avis des scientifiques. Un certain nombre d'avis convergent pour dire qu'il vaut mieux éviter les conversations de plus de trois minutes. Mon conseil est clair : utilisez le portable pour des conversations très courtes, seulement si vous en avez besoin. Si vous avez accès à un téléphone fixe filaire, utilisez-le.

Aureleii : Est-ce qu'il y a eu des études qui concernent d'autres parties du corps qui pourraient être atteintes, en particulier chez les personnes qui gardent leur portable allumé dans leur poche ?

Janine Le Calvez : Les conseils qui sont donnés actuellement par tout le monde, officiellement (on les trouvait dans la plaquette publiée sur le sujet et on les trouve encore dans le dernier avis de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnementale et du travail, l'Afsset), c'est d'éviter pour les femmes enceintes de mettre le portable sur leur ventre, et éviter pour les jeunes garçons de garder le portable dans leur poche, près des gonades.

Ah_bon_? : La généralisation du Wi-Fi nous fait-elle encourir les mêmes risques que le téléphone portable ?

Janine Le Calvez : Je pense qu'on est dans le même processus d'apprenti sorcier : de même qu'on a lancé le portable sans la moindre étude d'impact, on lance le Wi-Fi sans la moindre étude d'impact sanitaire. Avec le Wi-Fi, on se rapproche des fréquences des micro-ondes, et c'est du champ électromagnétique domestique, qui vient donc renforcer le champ auquel on est déjà soumis, et de par tous les appareils électroménagers, et de par le téléphone sans fil, etc.

C'est donc là encore une augmentation de notre exposition aux champs électromagnétiques, avec tous les risques qui peuvent en résulter. Un conseil à donner : utilisez au maximum vos systèmes câblés : téléphone filaire, ADSL par le câble, télévision par le câble. Plus c'est câblé, mieux c'est pour vous.

Marin_1 : Et si on utilise une oreillette, les risques sont-ils les mêmes pour le cerveau ?

Janine Le Calvez : Je suis très embarrassée pour vous répondre, car un certain nombre de chercheurs conseillent l'utilisation de l'oreillette. D'autres, moins nombreux, disent qu'avec l'oreillette, évidemment, vous vous rapprochez du cerveau, et donc ils sont réservés. Qu'on porte ou non l'oreillette, le conseil est le même : plus c'est court, moins il y en a dans la journée, mieux c'est.

PLB : Est-ce vrai qu'il est plus nocif/dangereux d'utiliser son portable lorsque la couverture réseau est mauvaise (1 ou 2 barres sur l'écran du portable) ?

Janine Le Calvez : Oui, très certainement. Car votre portable, qui est aussi un émetteur, fonctionne alors à plein régime. Vous recevez beaucoup plus de champs électromagnétiques. Il vaut mieux utiliser le portable dans de bonnes conditions de réception.

GABRIELLE : J'ai "découvert" qu'une antenne de type UMTS avait été installée sur le toit de l'immeuble qui jouxte le mien alors que mon fils avait quelques semaines... il a maintenant deux ans : quels risques et quel recours ?

Janine Le Calvez : Quels risques ? L'UMTS, c'est comme le Wi-Fi, on n'a fait aucune étude d'impact sanitaire. Comme étude de l'analyse des effets de l'UMTS, on connaît une étude néerlandaise, connue sous le nom de TNO, qui a été réalisée à la demande de trois ministères du gouvernement, et qui a montré que les effets de l'UMTS à très faible valeur d'exposition (0,7 volts/mètre pendant trois quarts d'heure) étaient encore plus importants que ceux du GSM dans les mêmes conditions. A partir de cette étude, nous avons demandé un moratoire sur l'UMTS, que nous n'avons pas obtenu.

Nous avons demandé également une réplication de cette étude en France, sur fonds publics, nous ne l'avons pas obtenue.

Cette étude a été répliquée en Suisse, sur un financement de fondation, un fonds largement abondé par les industriels, et elle n'a pas confirmé les résultats de TNO. Nous sommes donc dans un contexte où l'on a une étude qui dit oui, une autre qui dit non, et sommes donc en droit de demander l'application du principe de précaution.

Sur les possibilités de recours, il y a un certain nombre de procès qui ont été gagnés en France sur la reconnaissance de trouble anormal de voisinage. Vous avez notamment deux arrêts de la cour d'appel d'Aix qui portent sur cette reconnaissance.

La réglementation nationale actuelle est extrêmement laxiste. Elle a été faite pour que les opérateurs puissent mettre leur installation là où ils le veulent. Il faut donc se battre à tout moment. Cette réglementation a été définie le 3 mai 2002, avant-veille du second tour de l'élection présidentielle, M. Jospin ayant été éliminé au premier tour, ce qui laisse imaginer le contexte...

Ah_bon_? : Quelle est aujourd'hui la réglementation concernant l'implantation d'antennes-relais ? Peuvent-elles être implantées à proximité d'écoles, par exemple ?

Lisk : Une fois une antenne implantée, n'y a-t-il plus de recours possible ?

Janine Le Calvez : Au niveau des écoles, il existe une circulaire interministérielle qui date d'octobre 2001 qui suggère de ne pas installer d'antenne à moins de cent mètres d'une école lorsque celle-ci pourrait être directement exposée à son rayonnement. Mais il s'agit d'une circulaire, cette clause n'est pas reprise dans le décret dont je parlais précédemment, et nous devons donc nous battre pour que des écoles ne soient pas directement exposées.

Deux cas ont fait la "une" des journaux ces dernières années : à Saint-Cyr-l'Ecole, où trois enfants ont été atteints d'un cancer du tronc cérébral, très rare, alors que les antennes étaient installées sur l'école même ; et plus récemment, la presse s'est fait l'écho d'un problème à Ruitz, dans le Nord, où deux enfants d'une école maternelle particulièrement exposée à une station-relais de téléphonie mobile ont été également victimes d'un cancer.

Une fois qu'une antenne est installée, vous pouvez faire valoir ce dont j'ai parlé, le trouble anormal de voisinage au niveau judiciaire. Il s'agit de procédures relativement lourdes et qui demandent donc beaucoup d'âpreté.

Vous pouvez aussi vous battre en mobilisant votre voisinage, et en faisant pression notamment sur vos élus, en premier lieu votre maire, pour qu'il entame un processus de négociation avec l'opérateur pour trouver un autre site pour l'implantation. Nous avons ainsi obtenu plusieurs déplacements d'antennes sur le territoire national.

Toesblink : Récemment, l'Afsset a fait l'objet d'un rapport prouvant que certains de ses chercheurs étaient payés par les opérateurs, tout comme les bureaux de contrôle mesurant les antennes-relais. Comment faire confiance à nos institutions, qui semblent être à la solde des opérateurs ?

Janine Le Calvez : C'est vraiment une question d'actualité, puisque grâce à l'opiniâtreté de Priartem et d'Agir pour l'environnement, notre association partenaire, nous avons obtenu qu'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale de l'environnement, remis aux deux ministres de tutelle en décembre dernier, soit enfin publié, le 11 septembre 2006.

Il aura donc fallu huit mois, de nombreux courriers, un recours gracieux auprès des ministres de tutelle, et enfin un recours auprès de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) pour obtenir quelque chose qui était de droit.

Quelques mots sur ce qui s'était passé auparavant. En France, on a eu cinq rapports d'expertise sur la téléphonie mobile en quatre ans. Je pense qu'il s'agit d'un record. Mais il ne s'agissait pas d'une accumulation de connaissances, mais plutôt d'un système de "copier-coller" réalisé par les mêmes experts. Nous avons dénoncé pendant longtemps, seuls, la confiscation de l'expertise scientifique officielle par une toute petite poignée de scientifiques acquis à la thèse du déni du risque, et dont l'indépendance par rapport aux milieux industriels était loin d'être prouvée.

Nous en avons maintenant la preuve à travers ce rapport, qui ne fait que confirmer les paroles publiques du président du conseil d'administration de l'Afsse (Agence française de sécurité sanitaire environnementale), qui déclarait en octobre dernier : "les expertises de l'Afsse sur la téléphonie mobile n'ont jamais respecté ni de près ni de loin les règles que l'agence s'est elle-même fixées. A ce titre, je considère que ces expertises n'existent pas". En effet, les inspecteurs démontrent que les experts qui sont intervenus sur la téléphonie mobile ont pour la plupart des liens directs ou indirects avec les industriels.

Il conclut : "En synthèse, il est apparu que les travaux de l'Afsse en matière de téléphonie mobile se sont déroulés avec des défaillances relatives à la méthode suivie sur les procédures (...) De ce fait, l'agence a pris le risque d'hypothéquer le travail des experts par des irrégularités de forme, sur lesquelles pourrait s'arrêter un juge en cas de contentieux."

Ce qu'il faut savoir, c'est que ni la direction générale de l'agence ni les ministres de tutelle n'ont éprouvé le besoin de bouger à l'issue de la réception de ce rapport. Ce n'est que deux jours après le lancement de notre communiqué suite à la publication de ce rapport que l'Afsse a annoncé qu'elle ouvrait un appel d'offres pour le renouvellement des experts placés auprès de ses différentes instances.

Cannelle04 : Peut-on connaître précisément l'emplacement de toutes les antennes-relais présentes dans notre ville. A qui doit-on s'adresser pour avoir tous les emplacements ?

Janine Le Calvez : Là aussi, la transparence n'était pas de mise jusqu'à il y a peu. Nous n'avions aucune information globale sur l'implantation des antennes-relais en France. Suite à un certain nombre d'actions, de mobilisations, de rendez-vous auprès des ministres, nous avons obtenu que l'Agence nationale des fréquences, qui donne l'autorisation technique aux opérateurs pour l'installation de toute nouvelle station-relais, élabore une cartographie des installations.

Il existe actuellement un site, qui s'appelle cartoradio, sur lequel vous trouvez, normalement, toutes les implantations. Je dis bien "normalement", car il y a quelques lacunes.

Sébastien : Si on peut arrêter de fumer, on ne peut pas empêcher son voisin d'utiliser un réseau sans fil : ce combat ne s'annonce-t-il pas plus difficile encore que la lutte contre le tabagisme ?

Aureleii : Croyez-vous qu'il soit possible de revenir en arrière à présent ? Que proposez-vous comme solution à court et à long terme ?

Janine Le Calvez : Revenir en arrière, je n'y crois pas, parce que c'est vrai que le portable peut être considéré comme ayant quelques utilités. En revanche, mieux faire, j'y crois beaucoup. S'il s'avère, comme nous le craignons, que l'on aille vers une reconnaissance plus importante du risque, il faudra qu'un jour on ait sur nos téléphones portables, comme sur les paquets de cigarettes : "attention, téléphoner peut tuer", ou une autre formule choc qui rappelle les risques que vous prenez chaque fois que vous utilisez votre portable.

Je pense que parallèlement, il sera absolument nécessaire de lancer de grandes campagnes d'information ciblées sur les risques du portable. Vis-à-vis des parents, des adolescents, des jeunes étudiants. Ce sera totalement nécessaire.

Pour les antennes-relais, nous nous battons pour une réglementation beaucoup plus contraignante qui fixe une valeur d'exposition maximale du public au-dessous de laquelle aucun effet sanitaire n'a été observé. Il s'agit d'une valeur de 0,6 volt/mètre, de façon que le développement de la téléphonie mobile puisse se faire dans le respect des conditions de vie et de santé de tous.

Bien évidemment, je pense qu'il faut être particulièrement attentif au problème des enfants. Il faut absolument protéger nos écoles et les lieux de concentration des enfants, interdire absolument toute campagne publicitaire ou promotionnelle visant le public enfant et adolescent, et interdire la commercialisation de tout produit qui leur soit spécifiquement destiné.

Il faut savoir qu'en France, l'année dernière, une entreprise a essayé de commercialiser un portable pour enfants de 4 à 8 ans. Ni les autorités sanitaires ni les agences de veille ne sont intervenues. C'est une fois de plus Priartem et Agir pour l'environnement qui se sont battues et elles ont obtenu que les deux grandes chaînes commerciales qui avaient mis le produit en vente (Carrefour et le BHV) les retirent de la vente. Aujourd'hui, le Babymo n'est plus commercialisé en France, mais aucune réglementation n'empêche l'arrivée d'un nouveau produit du même type.

Chat modéré par Constance Baudry

Source : http://www.lemonde.fr/archives/article/2006/09/20/le-telephone-mobile-nuit-il-a-la-sante_815064_0.html

Robin Des Toits
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