'Faut-il avoir peur du réseau sans fil ?' - Le Soir - 05/09/2007

DANGEREUX, LE WI-FI ? Risqué, l’usage intensif du téléphone portable à domicile ? Des experts l’affirment.



Téléphone portable à domicile, antenne-relais GSM, wi-fi ou GSM : les technologies d’aujourd’hui, et leurs champs électromagnétiques, sont-elles dangereuses pour la santé ? La question reste très polémique. Mais les appels à la prudence émanant de spécialistes se multiplient : ils recommandent, sinon l’interdiction des moyens de communication modernes, un durcissement des normes.

Une vingtaine de scientifiques ont rédigé un rapport alarmiste : « Le déploiement sans entrave des technologies sans fil est vraisemblablement risqué (…) Des étapes pour réduire l’exposition liée aux systèmes existant doivent être initiées. »

L’« HOMO CELLULARIUS » baigne dans un brouillard électromagnétique permanent. Cette exposition chronique aux ondes diffusées par les systèmes wi-fi (routeurs sans fil pour les ordinateurs), les GSM, les téléphones portables à domicile ou les milliers d’antennes-relais sur le territoire est une menace pour la santé que pointent de plus en plus d’études. PHOTOS ROGER MILUTIN ET SYLVAIN PIRAUX.

'Santé / Les risques des ondes pulsées recensés dans une nouvelle étude américaine'
Les signaux d’alerte du réseau sans fil


Les appels afin de durcir les normes se multiplient.
En Allemagne, la prudence est recommandée à domicile.


Risque accru de leucémie infantile, de cancer du cerveau, d'Alzheimer, désordres acoustiques, problèmes nerveux variés, modification de l'ADN, troubles du sommeil, c'est un nouveau message d'alerte que lancent une vingtaine de scientifiques américains, médecins pour la plupart.

Publié vendredi dernier, leur volumineux rapport « Bio Initiative » (1) fait la synthèse des centaines d'études consacrées à l'impact sanitaire des champs électromagnétiques sur l'homme : « Le déploiement sans entrave des technologies sans fil est vraisemblablement risqué et sera difficile à contrer si la société ne prend pas des décisions rapides sur de nouvelles limites d'exposition, conclut le rapport.

Comme il n'est pas réaliste de reconstruire tous les systèmes de distribution électrique à court terme, des étapes pour réduire l'exposition liée aux systèmes existant doivent être initiées et encouragées, particulièrement dans les lieux où les enfants passent du temps ».

Vous ne pouvez pas la voir, la sentir, la goûter ? « La pollution électromagnétique est pourtant l'exposition la plus envahissante à laquelle les êtres humains sont soumis dans les pays occidentaux, constatent les experts. Notre société ne peut plus se payer le luxe d'attendre avant d'agir ».

Attendre, c'est pourtant le credo de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le discours rassurant (lire page 3) est aux antipodes des signes d'inquiétude scientifique lancés depuis bientôt six ans (appels de Fribourg en 2002, d'Helsinki en 2005 et de Benvento en 2006).

Nouvel écho de ces craintes, le débat sur le possible bannissement des systèmes wi-fi dans les écoles en Grande-Bretagne. De son côté, le gouvernement allemand, vient de déconseiller l'usage du wi-fi à domicile et de « de préférer autant que possible l'utilisation de solutions filaires traditionnelles plutôt que de connexions sans fil ».

Et en Belgique ? « Nous travaillons actuellement sur une nouvelle note consacrée à cette question, explique le professeur André Vander Vorst, membre du Conseil supérieur de la santé (CSS) en Belgique et au Pays-Bas. Elle devrait aboutir en décembre. Je rappellerai simplement que, si on veut agir de manière prudente, il convient de considérer la somme de l'exposition à laquelle un individu peut être soumis. C'est pourquoi le conseil supérieur fédéral avait recommandé en 2004 de ne pas dépasser 3 volts par mètre – en aucun endroit et à aucun moment ».

Négligeant cette recommandation, le gouvernement fédéral sortant a préféré adopter un arrêté royal imposant aux opérateurs de ne pas dépasser 20,6 volts par mètre. Six fois plus que la recommandation prônée par les scientifiques, mais deux fois moins que la valeur maximale préconisée par l'OMS.

« Les recommandations de l'OMS sont dépassées et ne tiennent compte que des effets thermiques des champs électromagnétiques sur la santé, fulmine Jean Delcoigne, de l'association Teslabel. Or, les effets sur la santé se font déjà sentir à des niveaux bien inférieurs aux trois volts par mètre recommandé par le Conseil supérieur de la santé » L'association, qui a introduit un recours devant le Conseil d'État, espère rééditer l'annulation des normes fédérales, comme en 2005. Et confronter le prochain gouvernement à la nécessité de plancher sur de nouvelles normes en dépit des hauts cris poussés par l'industrie.

En attendant, le brouillard électromagnétique est de plus en plus dense : 8.000 stations-relais sont recensées sur le sol belge – et, si l'on en croit les prophéties touchant à la « téléphonie de la troisième génération », ce chiffre devrait augmenter de 50 % d'ici la fin de la décennie.

Vigilance, donc ? « On met l'accent sur les risques du wi-fi, mais à mon sens, les téléphones numériques sans fil de type “DECT” utilisés chez les particuliers représentent un bien plus grand danger, estime André Vander Vorst. Cette technologie héritée de l'industrie permet de gérer une dizaine de communications simultanément et émet en permanence, 24 heures sur 24, dans les habitations. Si bien que l'intensité du champ émis est largement supérieure au rayonnement des antennes GSM ».

Faut-il dès lors privilégier le bon vieux sans fil ? Pour le scientifique belge, la prudence extrême doit s'imposer en attendant 2015, date à laquelle le recul sera suffisant pour juger de l'impact global de la téléphonie mobile sur la santé. Et à défaut de pouvoir interdire certaines technologies comme ces téléphones de type « DECT », le membre du Conseil supérieur attend des pouvoirs publics qu'ils imposent aux constructeurs d'informer le consommateur quant à la puissance de ces téléphones et autres « baby-phones » sans fil.

Avant peut-être un jour d'y voir figurer cette mention :
« Cet appareil peut nuire gravement à votre santé. »

(1) http://www.bioinitiative.org

REPÈRES

Le téléphone portable sans fil à domicile (DECT).
Ils émettent sans discontinuer des ondes pulsées dont la puissance est souvent supérieure aux 3 volts par mètre préconisés par le Conseil supérieur de la santé.

L’antenne relais GSM.
Les normes belges, fixées à 20,6 V/m, sont jugées suffisantes par l’OMS mais très critiquées. La majorité des antennes émettent dans les faits en dessous de 3 V/m, si l’on en croit l’Institut belge des télécommunications.

Le système wi-fi.
L’ordinateur sans fil (wi-fi) rayonne sur la même fréquence que le four à micro-ondes... mais sa puissance est nettement moins importante. Il est recommandé de ne pas laisser son wi-fi « allumé
» 24 h sur 24.

Le GSM.
De plus en plus de pédiatres déconseillent son utilisation avant 15 ans. L’exposition est maximale
lors d’une communication (10 à 20 v/m).

www.criirem.org, en France, publie un classement des marques selon leur rayonnement.

Infos.
www.teslabel.be
www.001.be.cx
www.next-up.org
www.eumwa.org
www.who.int/pehemf/fr/ (OMS)

CHRISTOPHE SCHOUNE

« Un bilan de santé mondial en 2010 »

ENTRETIEN

Emilie van Deventer est en charge du dossier des rayonnements électromagnétiques à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à Genève. Cette Hollandaise a succédé l’an dernier au sulfureux Michael Repacholi, accusé par plusieurs scientifiques et diverses organisations non gouvernementales d’avoir privilégié les attentes de l’industrie…

Le gouvernement allemand vient de recommander d’utiliser prioritairement des connexions filaires pour les communications à domicile. Que pensez-vous de cette recommandation ?
L’OMS ne prend pas position par rapport à ce qui se fait au niveau national. On adopte des recommandations…

Ces recommandations dans le domaine de la téléphonie mobile datent de 1993. Elles sont critiquées pour être dépassées… Connaissez-vous les personnes et leur expertise à ce sujet ?
Ce n’est pas le propos : ces organisations estiment leurs revendications fondées scientifiquement et légitimes… Nous avons publié un aide-mémoire sur le sujet en 2006. Notre position n’a pas changé depuis… « qu’il n’existe aucun élément scientifique probant confirmant d’éventuels effets nocifs des stations de base et des réseaux sans fil… »

Pourtant, une série d’études disponibles sur votre base de données attestent le contraire…
Nous attendons les résultats d’une étude épidémiologique par rapport à l’usage du téléphone cellulaire. Cette étude a été réalisée dans treize pays et elle inclut des milliers de personnes. Cette puissance statistique va nous donner une idée de ce qui se passe depuis l’explosion de la téléphonie mobile. La collection des données est finie. L’agence internationale de recherche contre le cancer doit présenter des résultats d’ici 2008.

L’OMS peut-elle continuer à soutenir qu’il n’y a pas de risque, face à la profusion de publications qui pointent des effets liés à l’exposition électromagnétique ?
Il y a des études négatives et positives. Ce n’est pas blanc et noir. Ce que l’OMS essaye de faire, c’est de revoir l’ensemble des études publiées à ce jour, et de juger leur qualité scientifique. Et il faut dire que certaines études relevant des effets sont critiquables au plan méthodologique. Par rapport à la leucémie infantile, quand on met des animaux en laboratoire, on n’arrive pas pour le moment à établir le lien…

Pouvez-vous dire quand ce processus sera achevé ?
Cette évaluation de grande ampleur, qui ne se limitera pas à la question du cancer, sortira d’ici 2010. En attendant, la Belgique comme l’Europe suivent les recommandations de la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants. C’est cet organisme qui a fixé les limites d’exposition. La prudence vaut sans doute mieux que le contraire, mais il faut éviter de simplifier ce débat…

Propos recueillis par CHRISTOPHE SCHOUNE


'Les moineaux mâles déchantent'

Sale temps pour les moineaux ? Depuis quelques années, le passereau semble avoir du plomb dans l’aile. Remembrement agricole, pesticides, possibilités réduites de nicher en ville, prédominance d’autres prédateurs… Àtoutes ces raisons, invoquées pour justifier la régression de cet oiseau commun sous nos latitudes, il faudra peut-être ajouter les champs électromagnétiques. Une étude publiée il y a peu par deux chercheurs de l’Inbo, Institut flamand de recherche pour la nature et la forêt, jette un sérieux trouble à ce sujet (1).

Réalisée sur le terrain au printemps 2006, la recherche conduite par Joris Everaert et Dirk Bauwens s’est penchée sur 150 localisations à proximité de quartiers résidentiels dans six zones en Flandre-Orientale. Privilégiant des journées aux conditions météorologiques favorables (pas de pluie, du soleil, peu de vent…), les chercheurs ont observé aux jumelles et en matinée la présence des oiseaux mâles. Simultanément, des mesures des champs électromagnétiques générés par les antennes-relais de GSM situées à proximité étaient enregistrées pendant deux minutes pour chaque bande de fréquence.

« Nos résultats indiquent clairement que la variation spatiale entre les lieux de prélèvement du nombre de moineaux domestiques mâles a été liée négativement à la force des champs électriques émis par les stations de bas deGSM, explique le biologiste Joris Everaert. Cette relation est semblable parmi les secteurs d’étude. Nos données prouvent que peu de moineaux domestiques mâles ont été vus aux endroits caractérisés par des valeurs relativement élevées de force de champ électrique des stations de base GSM. » L’exposition à long terme à certains niveaux de rayonnement affecterait donc l’abondance ou le comportement des moineaux domestiques dans la nature. Et cela, à des niveaux relativement bas par rapport aux normes en vigueur : la plupart des mesures étaient inférieures à 1 volt par mètre.

« Nous constatons une réduction des moineaux qui va jusqu’à 75 % dans les localisations où l’on mesure 0,4 à 0,5 volt par mètre en comparaison à des endroits où les champs sont évalués à 0,1 à 0,2 v/m », précise Joris Everaert.

Les insectes dégustent aussi
Faut-il s’alarmer ? Très prudents, les chercheurs belges précisent que leur corrélation ne doit pas être comprise comme un rapport de cause à effet. « Néanmoins, le fait que nous ayons trouvé un modèle semblable dans chacun des six secteurs renforce la possibilité que ce rapport n’est pas faux, note Joris Everaert. Notre étude doit être considérée comme préliminaire et confirmée par d’autres recherches… »

Inquiétants, ces résultats font écho à d’autres études menées sur l’impact des ondes sur la vie sauvage. Voici deux ans, l’étude « Balmori », en Espagne, établissait une corrélation entre le degré de fertilité des cigognes blanches et leur niveau d’exposition à des rayonnements électromagnétiques. L’étude belge pointe enfin que la téléphonie mobile peut engendrer une diminution de 50 à 60 % de la capacité de reproduction des insectes. Or, le manque d’invertébrés est suggéré comme une autre raison du déclin des moineaux en ville…

(1) http://www.livingplanet.be

Ch. Sc.


« C’était comme si j’avais un orage dans la tête »

TÉMOIGNAGE

Lorsqu’il nous ouvre sa porte, Michel a le sourire ample. Zen. Mais il aura hésité, Michel. Car nous recevoir signifiait pour ce quadragénaire la nécessité de retracer les étapes de ce qui fut un cauchemar. Cauchemar ? Le mot n’a rien d’excessif pour cet ingénieur commercial qui s’est égaré dans le brouillard des champs électromagnétiques un matin de 2003.

« J’étais un utilisateur de GSM en pleine santé, raconte-t-il. Je vivais à l’étranger et je suis venu m’installer à Rixensart, en Brabant wallon. Au moment de l’aménagement, j’ai acheté deux téléphones DECT (stations sans fil à domicile). À partir du moment où on a habité cette maison, j’ai été victime d’insomnies. Je me réveillais en chaleur avec le corps moite. Ce qui était étrange, c’est qu’à Londres, où je vivais une semaine sur deux, je dormais comme un loir… » Maux de tête, fatigue de la vision, sifflement dans les oreilles, irritabilité… À chacun de ses retours, les symptômes de Michel s’ajoutent à ses insomnies chroniques, sans qu’il puisse y remédier. « Par trois fois, j’ai été proche de la crise d’épilepsie, détaille-t-il. C’était comme si j’avais un orage dans la tête… »

Après avoir chamboulé l’organisation de sa maison et consulté divers médecins… Michel suspecte enfin, dix-huit mois après son installation, un lien entre ses problèmes et l’antenne-relais placée en face sur un immeuble. Les mesurages font état de deux volts par mètre : en dessous des normes... mais au-delà du supportable. « J’ai sonné chez les voisins et je me suis rendu compte qu’on était nombreux à vivre le même enfer, poursuit-il. Certaines personnes étaient plus atteintes que moi. Et nous avons entamé un combat contre cette antenne… »

Même le choix des vacances est guidé par cette pollution
La suppression successive de ses téléphones sans fil et de l’antenne- relais, début juillet 2004, marque une pause dans les souffrances de Michel. Il déchante vite. L’installation d’une nouvelle antenne-relais accélère la descente aux enfers. « J’étais tellement mal que cela s’est terminé par un divorce. Je suis devenu fibro-myalgique. Même si je vais mieux, je garde une électrosensibilité très forte. Et je dois être vigilant. Quand je me rends quelque part, je demande la compréhension à mes hôtes à qui je demande de couper les systèmes sans fil. Sinon les symptômes réapparaissent très vite… » Remarié, habitant la campagne, en Hainaut, Michel refuse de vivre reclus, à l’instar d’autres « électrosensibles ». Il croise les doigts : aucune antenne-relais ne menace sa santé pour le moment. « Mais je sais que je ne suis pas à l’abri de l’extension du réseau, souligne-t-il. Même le choix des vacances est guidé par cette pollution. Je ne peux plus prendre l’autoroute de la mer, truffée d’antennes. Si bien que je vais à la côte d’Opale… »


Robin Des Toits
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