Écoles sans cellulaires: des élèves «libérés» de la tyrannie de leur téléphone - journaldequebec.com - 02/09/2019

FAUCOGNEY-ET-LA-MER | Dans un petit collège situé dans l’est de la France, le portable est devenu persona non grata un an avant qu’une loi ne le bannisse dans toutes les écoles françaises, l’automne dernier. La vie est revenue dans la cour de récréation et des élèves qui s’opposaient à l’interdiction affirment aujourd’hui se sentir «libérés».



Des zones de lecture ont été aménagées à l’intérieur du collège Duplessis-Deville afin de redonner le goût aux élèves de lire pendant les pauses.

L’heure du dîner tire à sa fin. Des élèves bavardent dans la cour alors que d’autres jouent à courir l’un après l’autre, dans une confusion joyeuse. Des rires éclatent. «C’est redevenu une vraie cour de récré!» lance Noémie Caland, responsable de la surveillance des élèves au collège Duplessis-Deville. 

 

Pourtant, il y a deux ans, le portrait était complètement différent dans ce petit collège de 150 élèves. Les jeunes étaient alignés sur des bancs en silence, les yeux rivés à leur écran. Plusieurs jouaient à des jeux vidéo, alors que d’autres s’échangeaient des textos même s’ils partageaient le même banc, raconte Mme Caland. 
 

Même si la cour d’école est aujourd’hui plus animée, les conflits entre élèves, eux, ont diminué, ajoute-t-elle. «Ils s’entendent mieux, ils sont moins énervés. J’ai vraiment constaté que les écrans les énervaient au moment où on les a interdits. On a vu un changement assez radical. C’était surtout ceux qui étaient sur les jeux, ils étaient plus agressifs. Maintenant, ils sont plus cools.» 
 

Même des élèves y voient des avantages. «Je me sens libéré de ne plus être fixé devant un écran», lance Nathan, un grand gaillard de 16 ans. 
 

Un enjeu de sécurité

Pour Rudy Cara, qui est à la tête de ce petit établissement, l’interdiction du cellulaire était avant tout une question de sécurité. Au cours des dernières années, il avait dû intervenir fréquemment pour gérer des cas d’images compromettantes mises en ligne par des élèves. «On se retrouvait à gérer des situations de racket, de violence et de harcèlement. On avait atteint un degré de violence sans précédent», affirme-t-il. 
 

Fin 2017, après des mois de consultations et de discussions, le conseil d’administration donne le feu vert : l’usage du cellulaire est désormais interdit au collège, sauf à des fins pédagogiques. 
 

Le téléphone doit être éteint et rangé dans le fond du sac à dos. Les cellulaires peuvent être confisqués pendant 24 heures lorsqu’un jeune se fait pincer. 
 

Sans surprise, des représentants d’élèves s’opposent au nouveau règlement. Des parents aussi. 
 

«Faire prendre conscience aux parents de l’intérêt de cesser l’usage du téléphone, c’est ce qui a été le plus compliqué», affirme le directeur. 
 

Des textos dans les toilettes

M. Cara considère maintenant que l’interdiction du cellulaire à l’école est «une affaire réglée». «Je n’ai plus jamais eu de problèmes», lance-t-il. 
 

Le directeur ne se ferme toutefois pas les yeux. Il sait très bien que des élèves plongent parfois la main un peu trop longtemps dans le sac, en classe, lorsque le prof a le dos tourné. Et que d’autres se cachent dans les toilettes pour envoyer des textos. 
 

«Il y a 20 ans, ils faisaient ça pour aller boire une bière ou fumer une cigarette. Maintenant, ils se cachent dans les toilettes pour envoyer un message. Ça fait sourire. On a quand même gagné certains combats», lance-t-il en riant. 

 
Témoignages 

Photo Daphnée Dion-Viens
 

«C’est une bonne initiative, ça agrandit le cercle d’amis. On ne se soucie plus de qui avait un téléphone et qui n’en a pas.»

 – Nina, 14 ans (avec la veste marron)

Photo Daphnée Dion-Viens

«La démission parentale est telle à notre époque que ce sont des familles qui comptent sur l’école pour mettre en place le cadre qu’elles n’arrivent pas à mettre en place.»

 – Rudy Cara, principal du collège Duplessis-Deville à Faucogney-et-la-Mer

  

 
Pas de casiers, mais des cellulaires confisqués 

Photo Daphnée Dion-Viens
Au collège Valmy, situé à Paris, un élève qui se fait prendre à utiliser son cellulaire se le fait confisquer jusqu’à ce qu’un parent vienne le récupérer.

  Chaque école française doit déterminer les modalités pour faire respecter la loi. Règle générale, le téléphone doit être éteint et rangé dans le fond du sac à dos de l’élève.  Un système de casiers, d’abord évoqué par le ministre de l’Éducation, a vite été relégué aux oubliettes, jugé trop coûteux et complexe à gérer.  La loi en place dans les écoles françaises permet à la direction de confisquer des cellulaires. Dans la plupart des établissements visités par Le Journal, les écrans sont confisqués jusqu’à ce que les parents viennent les chercher.  Avant la législation, il était plus difficile de confisquer des cellulaires puisque des parents s’y opposaient sur le plan légal, ce qui n’est plus possible aujourd’hui.  
Des enseignants l’utilisent pour apprendre en classe 

En permettant explicitement aux enseignants d’utiliser le téléphone portable en classe, la loi française a donné une légitimité à ceux qui souhaitent se servir de cet outil pour apprendre, selon un expert. Sur le terrain, la mesure pourrait toutefois avoir produit l’effet contraire. 

Au collège Duplessis-Deville, dans la classe de français de l’enseignant Frédéric Simon, les élèves ont pu l’an passé lire Maupassant ou Musset, deux lectures obligatoires, sur leur téléphone portable ou une tablette. Une façon de leur montrer que plusieurs grands auteurs dont les œuvres sont libres de droits sont accessibles dans le creux de la main. 

«Il faut que l’utilisation pédagogique du téléphone portable soit valorisée. Je veux montrer aux élèves que c’est une mine extraordinaire lorsqu’on sait ce qu’on peut faire avec», affirme M. Simon, qui prend soin de prévenir ses élèves une période à l’avance lorsque l’utilisation du portable en classe est permise. 

 

Effet contraire

Cette loi pourrait contribuer à augmenter l’usage du cellulaire en classe par les enseignants, puisqu’elle affirme sa légitimité comme outil pédagogique, souligne de son côté l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. 

Or, puisque l’accent a été mis sur l’interdiction plutôt que sur l’encadrement dans le discours public, certains enseignants sont maintenant plus réticents qu’avant face à l’utilisation supervisée du cellulaire en classe, craignant d’enfreindre la loi, affirme de son côté Thierry Karsenti, chercheur à l’Université de Montréal. 

Ce dernier a réalisé récemment une enquête sur l’usage du numérique dans des collèges français. «Les enseignants qui l’utilisent en classe sont moins nombreux aujourd’hui», déplore-t-il. 

Cependant, des enseignants rencontrés par Le Journal affirment qu’il n’est pas difficile de permettre un usage supervisé des écrans en classe alors qu’ils sont interdits à d’autres moments. 

La grande majorité des élèves se présentent en classe avec leur téléphone dans le fond de leur sac à dos ou dans le creux de la poche et ils le rangent volontiers une fois l’utilisation pédagogique terminée, racontent-ils. 

Ceux qui n’ont pas leur propre appareil peuvent avoir accès à l’équipement de l’établissement. 

«L’interdiction du cellulaire ne signifie pas que les élèves sont coupés des outils numériques», affirme Philippe Auzet, principal adjoint du collège Valmy, à Paris.

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Source : https://www.journaldequebec.com/2019/09/02/ecoles-sans-cellulaires-des-eleves-liberes-de-la-tyrannie-de-leur-telephone?fbclid=IwAR3urjqbqga_sUaX2hI7BRY98QFaesg1QMxyu435bX4lmbjEAKPoCjtA5EQ

 


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