"Antennes relais : les techniciens qui installent la 4G mettent-ils en danger leur santé ?" - Basta Mag - 02/12/2013



Les quatre opérateurs de téléphonie mobile ont mis les bouchées doubles : avec le lancement de la 4G, qui permet de surfer sur Internet en haut-débit depuis son téléphone mobile, l’installation de nouvelles antennes se multiplie. Problème : les techniciens du secteur, souvent salariés d’entreprises sous-traitantes, semblent délaisser les consignes de sécurité au détriment de leur santé. Sous la pression des donneurs d’ordre, les risques augmentent, alors que la réglementation sur la protection des travailleurs reste inadaptée.

« On a souvent des maux de tête, certains de nos collègues se sont mis à saigner du nez en travaillant, sans savoir vraiment pourquoi », témoigne un technicien, sous-traitant d’Orange [1], qui s’apprête à monter des « antennes panneaux » 4G sur un mât d’une vingtaine de mètres, au sommet d’un stade de foot. « Je ne ferai pas ce métier toute ma vie », ajoute-t-il, inquiet des risques que peuvent représenter les émissions d’ondes de ces antennes relais. Comme lui, de nombreux techniciens sont aujourd’hui concernés par l’installation des antennes relais sur le territoire français. Près de 7 896 autorisations ont été accordées en septembre dernier par l’Agence nationale des fréquences (ANFR), tous opérateurs confondus. Au total, avec l’extension de la 4G à tout le territoire, 50 000 antennes relais d’Orange, SFR (Vivendi) et Bouygues, devront être remplacées. Avec quels risques pour la santé de ces travailleurs ?

« La situation est dramatique », s’insurge Jean Rinaldi, président de la Coordination citoyenne antennes relais Rhône-Alpes (CCARRA). En début d’année, lors d’un déplacement à Metz, ce spécialiste des mesures de champs électromagnétiques chez les particuliers a été « sidéré » : un technicien travaille à la maintenance sur le toit d’un immeuble, alors que l’antenne est toujours en fonction. Normalement, pendant la durée de l’intervention, il est recommandé de faire basculer le réseau sur d’autres antennes, pour ne pas surexposer le technicien. Car près des antennes, les champs électromagnétiques sont très puissants. « A six mètres de l’antenne, lors de précédentes mesures, j’ai pu obtenir : 203 Volt par mètre (V/m). A 10 mètres 156 V/m », détaille Jean Rinaldi.

Des chiffres confirmées par l’association Next-Up, spécialisée dans la lutte contre les effets des ondes électromagnétiques, qui a notamment mesuré 204 V/m face à des antennes relais camouflées. A titre de comparaison, le Conseil de l’Europe recommande un seuil maximal d’émission de 0,6 V/m, afin de ne pas porter atteinte à la santé des riverains. Or, quand un technicien intervient, ces procédures de coupures ne sont pas toujours respectées pour ne pas risquer de perdre des clients, explique Jean Rinaldi, qui pointe « la responsabilité des opérateurs ».

« Les techniciens ont la trouille de témoigner »

Les enjeux économiques de la téléphonie mobile sont tels que le silence règne. Un fait que déplore Marc Cendrier, chargé de l’information scientifique pour l’association Robin des Toits, spécialisée dans la lutte contre les dangers du rayonnement électromagnétique et les implantations d’antennes-relais. Cette dernière est contactée « par des employés de sociétés sous-traitantes s’inquiétant pour leur santé, à la suite de vertiges et de maux de tête », confirme Marc Cendrier. Avant d’ajouter : « Les techniciens ont la trouille de témoigner ».

« Il y a les consignes de sécurité d’un côté et la réalité de l’autre. Celle de la rentabilité que l’on demande aux sociétés sous-traitantes », dénonce Jacques, responsable syndical chez l’un des quatre opérateurs de téléphonie mobile. « Un ancien technicien employé par Orange souffrait parfois de maux de tête. A cause de ses conditions de travail et de son inquiétude sur les ondes, il a quitté son travail », témoigne-t-il, désabusé. Un autre de ses collègues, élu dans un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), déplore lui aussi la situation : « On gratte constamment sur les coûts. On sous-traite et le résultat est là. Cela fait partie du spectre de situations à risques que l’on peut rencontrer avec la sous-traitance. »

Les opérateurs se défausse sur leurs sous-traitants

Un constat partagé par Patricia Mouysset, responsable du département risque chimique, toxicologique et physique à Technologia, un cabinet privé d’évaluation et de prévention des risques professionnels agréé par le ministère du Travail : « La pression de rentabilité financière et de minimisation de la durée d’immobilisation de l’antenne, empêche la mise en place de ces processus », explique-t-elle. De quoi s’interroger sur le respect des procédures de coupure d’antennes. D’autant plus qu’il suffit parfois aux techniciens d’une poignée de minutes seulement pour réaliser une opération de maintenance sur une antenne.

L’institut national de la recherche et de la sécurité (INRS) a publié en janvier 2013 une note intitulée, « Exposition des travailleurs aux risques dus aux champs électromagnétiques. Guide d’évaluation des risques » (à consulter ici). Elle précise que l’employeur est tenu à une obligation de résultat en termes de santé et de sécurité des travailleurs. Mais n’aborde que très succinctement la question des antennes relais.

De leur côté, les opérateurs assurent prendre leurs précautions, tout en renvoyant la responsabilité aux entreprises sous-traitantes. « Les sous-traitants interviennent sous la responsabilité de leur employeur, mais des procédures de coupures existent pour nos antennes. Le technicien peut lui-même provoquer la coupure et vérifier », affirme Alexandre André, responsable presse pour le groupe Bouygues Telecom. Il confirme que « le déploiement des antennes est assuré [en partie] par des sociétés sous-traitantes », même si l’opérateur dispose de « ses propres techniciens pour une partie de la maintenance ».

Free et SFR aux abonnés absents

En cas de doute, « nos techniciens disposent aussi d’un instrument de mesure des CEM (compatibilité électro-magnétique) », ajoute l’opérateur. Sollicitée à de multiples reprises, Catherine Moulin, directrice de santé et environnement pour l’opérateur SFR, n’a pas donné suite à nos questions. Quant à l’opérateur Free, il se contente de répondre que « toutes les procédures sont solidement encadrées » mais que la société « ne communiquera pas plus » sur le sujet. Chez Orange, Estelle Ode-Coutard du service de presse, assure que « la réglementation est respectée en interne, c’est-à-dire avec ses salariés, comme en externe, avec les sociétés sous-traitantes. » « Nos salariés reçoivent une formation, précise-t-elle. Pour ce qui est des externes, les sociétés sous-traitantes signent une charte avec Orange qui les engagent à respecter les règles de sécurité. »

Des garanties qui contrastent fortement avec le discours d’un responsable chargé de la sécurité dans une grande entreprise sous-traitante pour les trois principaux opérateurs. Selon lui, il existe bien « une convention signée par les opérateurs dans laquelle ils présentent le mode opératoire de coupure des émissions d’antennes ». Mais il pointe aussi des failles : « Couper l’antenne lors d’une installation d’antenne relais est une procédure contraignante pour les opérateurs qui sont obligés de couper leur réseau. Alors couper toutes les antennes en même temps sur un toit d’immeuble, ce n’est pas évident. »

De nouvelles réglementations pas avant 2016

Suite à une procédure enclenchée contre SFR par des représentants du personnel, la Cour d’appel de Versailles oblige, depuis août 2013, les employeurs à consulter le CHSCT avant le déploiement d’un service 4G. SFR estimait « que les conditions de travail n’étaient pas impactées et ne jugeait pas nécessaire de consulter le CHSCT », rappelle La Nouvelle Vie Ouvrière, la magazine de la CGT. Les techniciens des opérateurs de téléphonie mobile pourront donc profiter de cette obligation pour poser la question des impacts des champs électromagnétiques sur leur santé. Problème : les salariés des entreprises sous-traitantes ne sont pas concernés par cette obligation.

Or, nombre de PME qui travaillent dans ce secteur ne dépassent pas quelques dizaines de salariés, parfois moins, et ne disposent pas de représentants syndicaux. Et les accidents liés aux ondes électromagnétiques, dans le cadre d’opérations spécifiques sur des antennes relais, ne sont toujours pas reconnus par la médecine du travail. Le chemin à parcourir est encore long pour « pouvoir établir un vrai diagnostic clinique » sur les symptômes des techniciens, estime Amélie Massardier Pilonchéry, médecin du travail et chercheuse à l’Université de Lyon [2].

Contactés par Basta !, les services de la Direction générale du travail (DGT) n’ont pas encore évalué l’ampleur du risque. « De manière générale, très peu de signalements individuels sont remontés directement par les usagers au niveau de l’administration centrale, nous a répondu la DGT. Mais, les délais impartis pour répondre ne nous ont pas permis de questionner nos services déconcentrés sur ces éventuels signalements individuels », précise-t-elle, alors que l’inspection du travail est en pleine réforme. Une évaluation des risques professionnels que font peser les ondes électromagnétiques devraient être menées en 2014. « La réglementation nationale relative à la protection des travailleurs contre les risques liés aux champs électromagnétiques va être prochainement renforcée », promet la DGT... « au plus tard » le 1er juillet 2016 .

Des « effets biologiques et sanitaires déplorables »

Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. En 2011, photos et témoignages à l’appui, l’organisation Next-Up dénonce déjà les « effets biologiques et sanitaires déplorables et scandaleux qui sont malheureusement constatées de façon récurrente », sur les techniciens. Leur lettre adressée à la Direction départementale du travail de la Drôme est restée sans réponse.

« En Angleterre, au milieu des années 1990, une dizaine de techniciens, exposés à des champs électromagnétiques de puissance équivalente à ce que l’on peut obtenir près d’une antenne relais, ont eu de sérieux problèmes de santé et troubles neurologiques, et ont été contraints d’arrêter de travailler », décrit Marc Filterman, membre du Conseil scientifique du Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants (Criirem) et spécialiste des recherches sur l’électronique. Pierre Le Ruz, président du Criirem, expert européen en nuisances électromagnétiques et en radioprotection, confirme que ces situations dangereuses existent. Reste que les techniciens en intervention sont soumis à de multiples expositions, en particulier, via leurs portables professionnels. « Le portable expose avec des pics plus importants, mais sur de courts instants alors que les émissions dues aux antennes sont moins puissantes mais concernent un plus grand temps de travail », expliquait ainsi Amélie Massardier-Pilonchéry, lors d’une intervention au Comité national d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail d’Orange / France Télécom en 2012.

Réglementation et droit du travail inadaptés

Les élus politiques demeurent bien silencieux sur ces problématiques liées aux ondes, regrette Marc Filterman. En février dernier, le Criirem expédie à une centaine de députés une synthèse sur les risques des champs électromagnétiques sur les riverains, les professionnels, ou même les militaires, avec plus d’une centaine de références d’études. Le 23 janvier, lors de l’examen de la loi de la député Laurence Abeille pour « un principe de précaution pour les risques résultant des ondes électromagnétiques », silence radio. Le principe de précaution semble tombé aux oubliettes (lire l’article de Basta ! sur le sujet).

Il y aurait pourtant fort à faire sur le plan législatif. Le code du travail français ne contient aucune disposition spécifique sur la prévention des risques d’exposition professionnelle aux champs électromagnétiques. Seule la directive européenne 2013/35/UE fixe les prescriptions minimales en matière de protection des travailleurs. Elle indique que pour une gamme de fréquences supérieure à 2000 MHz, l’intensité du champs électromagnétique d’exposition ne doit pas dépasser 137 Volt par mètre. Les fréquences utilisées pour la 4G sont comprises entre 1800 MHz et 2600 MHz. Seules certaines installations de la 4G seraient donc soumises à cette réglementation. En matière de protection des salariés, comme des riverains, tout reste à faire.

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Source : http://www.bastamag.net/article3546.html

Xavier Bonnehorgne

Robin Des Toits
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