"Antennes-relais : dialogue de sourds" - La Vie - 16/04/2009

ACTUALITE ENVIRONNEMENT Les associations s'inquiètent de leurs effets sur la santé.
Le point avant l'ouverture du Grenelle des antennes.



Déjà repoussé deux fois, le « Grenelle des antennes », proposé il y a quelques mois par Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État au Développement de l'économie numérique, devrait bel et bien avoir lieu le 23 avril et réunir la plupart des acteurs mobilisés autour du brûlant dossier des antennes relais. C'est désormais la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, qui sera aux commandes de cette table ronde. Un immense défi que ce Grenelle, à l'heure où la grogne monte du côté des riverains et des associations et oû les opérateurs estiment se trouver dans une impasse.

Pourquoi le Grenelle devient urgent Elles peuplent les toits de France. Elles sont partout, plus ou moins visibles, plus ou moins esthétiques. Elles? Les fameuses antennes relais, qui permettent àprès de 56 millions d'entre nous de téléphoner à peu près partout sur le territoire. Depuis quelque temps, ces cigognes de ferraille sont au coeur de la polémique. En cause, leur potentielle nocivité pour la santé. En France, le seuil maximal d'exposition aux champs électromagnétiques des antennes est fixé entre 41et 61volts par mètre (v/m), selon la norme internationale établie par l'Organisation mondiale pour la santé (OMS). Une norme bien obsolète et qui ne prend en compte que les effets dits thermiques des champs électromagnétiques. En clair, au dessus de 61vlm, on grille !

Selon certains scientifiques, d'autres risques doivent être pris en compte (des effets néfastes sur l'ADN, le système immunitaire et le cerveau). Ils considèrent aussi que le seuil d'exposition ne devrait pas excéder 0,6 v/m. Les opérateurs assurent que la moyenne constatée en France est de 0,7 vlm et ne pose donc aucun problème sanitaire. Une moyenne qui ne signifie pas grand-chose, les opérateurs étant informés du jour oû les mesures sont effectuées ...

À de nombreux endroits, l'exposition est extrêmement élevée et insupportable physiquement pour les gens vivant à proximité ), confirme Étienne Cendrier, membre de Robin des toits, association nationale qui lutte pour la sécurité sanitaire dans les téléphonies mobiles. En attendant, en Suisse, la norme a été abaissée à 4vlm et en Toscane, à Salzbourg ou encore à Valence (en Espagne), à 0,6 v/m. À Paris, elle a été limitée à 2 v/m en accord avec une charte signée entre la ville et les opérateurs. Un compromis en attendant mieux.

Pour se faire entendre, des citoyens saisissent la justice. Et le 4 février, Bouygues est condamné, au nom du principe de précaution, par la cour d'appel de Versailles, à démonter une antenne dans le Rhône. Une première en France. Douze jours plus tard, c'est SFR qui est condamné à Carpentras, puis Orange, à Angers. Face au sentiment de crainte généralisée qui s'exprime, nombre de mairies refusent d'entreprendre des travaux ou attendent les décisions du Grenelle des antennes. L'apparition d'un certain nombre de cas d'électrohypersensibles (ERS) vient renforcer la peur. Les symptômes? Maux de tête, vertiges, nausées, qui disparaîtraient dans les « zones blanches », loin de toutes ondes électromagnétiques. « Des troubles psychosomatiques, rien de plus!,rétorque le Dr Zmirou, de la faculté de médecine de Nancy.

"L' EHS est une pathologie reconnue et décrite par l'OMS. En Suéde, il s'agit d'un handicap, en Angleterre, d'une maladie, même si le lien officiel avec les champs électromagnétiques n'est pas officiellement reconnu ! En France, elle est tout simplement ignorée par les pouvoirs publics il, s'insurge Étienne Cendrier de Robin des toits. Invoquant donc ce principe de précaution, les riverains se mobilisent et la justice va clairement dans leur sens, bien que les autorités sanitaires ne cessent de répéter qu'aucun danger n'existe. D'où l'embarras des opérateurs et des pouvoirs publics.

"Il est urgent que les politiques légifèrent, car nous sommes arrivés à un tournant dans ce dossier. Si l'arrêt de Versailles faisait jurisprudence, cela empêcherait les opérateurs de remplir leur mission", assure Jean-Marie Danjou, de l'Association française des opérateurs de téléphonie mobile. Rappelons que la récente loi de modernisation de l'économie prévoit des sanctions contre les opérateurs qui ne répondraient pas aux obligations de couverture fixées par l'État. Mais comment parsemer la France d'antennes si la justice menace de les faire démonter? Les pouvoirs publics sont également ennuyés puisque le marché de la téléphonie mobile pèse lourd: 56 millions de clients, 21 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Une contribution non négligeable à la richesse nationale. On comprend mieux pourquoi ce Grenelle, finalement, ne devrait plus tellement se faire attendre.

Quels en sont les enjeux ? Selon les termes de François Fillon, Il il est urgent de répondre aux inquiétudes des Français ii. Répondre aux inquiétudes ou les faire taire pour laisser le champ libre aux opérateurs ? En annonçant d'emblée que "l'hypothèse d'un risque pour la santé ne peut être retenue en l'état actuel des connaissances", le Premier ministre semble annoncer la couleur du Grenelle. Ce que redoutent les associations.

"Une bonne gouvernance commence par utiliser le conditionnel plus souvent et à ne pas démarrer le débat en annonçant ses conclusions en introduction",prévient Stéphane Kerckhove, d'Agir pour l'environnement. André Bonnin, de Robin des toits renchérit: "Les dés de ce Grenelle sont pipés d'avance. Tous les Scientifiques invités sont ceux qui déclarent depuis des années que les antennes ne présentent aucun risque pour la santé." En premier lieu, les représentants de l'Académie de médecine, qui, quelques jours après la décision de Versailles, s'est autosaisie pour rappeler que "ces antennes entraînent une exposition aux champs électromagnétiques 100 à 100 000 fois plus faible que les téléphones portables". Elle condamne ouvertement les tribunaux en soulignant que "la prééminence du ressenti du plaignant sur l'expertise scientifique est lourde de conséquence pour la santé publique". L'auteur de ces propos: André Aurengo, chef du service de médecine nucléaire à la Pitié-Salpêtrière, bête noire des associations, qui rappellent à qui veut l'entendre que ce dernier est également membre du conseil scientifique de Bouygues Télécom. Ce à quoi le médecin répond: « Je ne suis pas rémunéré par Bouygues pour mes travaux. Les entreprises font appel depuis toujours à des experts. Je rappelle que la principale rédactrice du rapport Biolnitiative, dite "indépendante ", vend sur son site des vêtements pour se protéger des ondes. Il s'agit d'une consultante et non d'une scientifique."

Pour les associations, ce rapport Biolnitiative (2006) est le seul qui vaille. Cette synthèse de 1500 études établies dans différents pays, a été validée par l'Agence européenne de l'environnement. La majorité d'entre elles concluent à des effets néfastes entre autres sur l'ADN, le système immunitaire et le cerveau. Autre aspect suspect du dossier, que les associations rappellent volontiers: depuis 2003, un certain nombre de compagnies d'assurances ont exclu de leurs contrats les aléas liés aux champs électromagnétiques et autres radiations émises par les téléphones portables et les antennes relais. Pas très rassurant, en effet. Il sera bien difficile le 23 avril de sortir de ces querelles. Les associations espèrent tout de même la reconnaissance d'un statut pour les électrohypersensibles et une limitation d'exposition à 0,6 v/m. Selon eux, nous pourrions garder un réseau performant.

Les opérateurs contestent. En effet, pour cela, il faudrait multiplier les antennes relais. Or, la pose d'une seule d'entre elles leur coûte environ 100000 €. Alors forcément, il est beaucoup plus facile de booster leur puissance que d'en installer de nouvelles. Lors de l'audition publique sur les antennes relais organisée la semaine dernière à l'Assemblée nationale par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le débat stagnait toujours.

SARAH GANDILlOT


DES OFFICES HLM PEU SCRUPULEUX
« Ce sont souvent les plus modestes de nos concitoyens qui se voient imposer des antennes à proximité de leurs habitations. Car, ne parvenant plus à convaincre les syndicats de copropriété, les opérateurs de téléphonie mobile se tournent aujourd'hui vers les organismes HLM, pour lesquels la santé publique n'est pas la priorité », s'insurge Jean Desessard, sénateur Vert de Paris. Ce sont plutôt les gains rapportés par la pose d'une antenne (environ 15000 € de loyer par an) qui motivent les bailleurs sociaux. Le sénateur poursuit: " Aux inégalités sociales viennent donc se superposer des inégalités environnementales. »

ANDRÉ, 41 ANS, MUSICIEN, ÉLECTROHYPERSENSIBLE
« Tout a commencé brutalement il y a deux ans. Sont apparus des problèmes de peau, de violents maux de tête, une sensation d'écrasement au niveau de la boîte crânienne, des vertiges, des chutes, des douleurs dans les os, des acouphènes ... Au départ, je n'ai pas compris ce qui se passait. Puis j'ai constaté que, selon les endroits où je me trouvais, mon état variait. Quand je sortais de chez moi, ça allait mieux. J'ai fait le lien avec les antennes relais UMTS (3G) que des ouvriers étaient en train de poser sur mon toit. Je venais également d'installer le Wi-Fi chez moi... Je me suis renseigné sur Internet et j'ai découvert Robin des toits. J'ai alors compris le mal dont je souffrais. J'ai débranché le Wi-Fi, me suis séparé de mon téléphone portable et j'ai protégé mes fenêtres avec un tissu blindé qui empêche le rayonnement des ondes. Aujourd'hui, je ne sors plus que couvert d'une casquette et d'un gilet tapissés de ce tissu. Avec ma femme, nous dormons dans le salon, moins exposé. Mes symptômes sont toujours présents, mais plus stables. »

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Voir également :

- Les raisons d'une alerte sanitaire > Electrosensibilité

- Loi, projets de loi et règlementations > France > Normes actuelles

- Le Rapport Zmirou : des résultats rassurants MAIS... - JT France 2 et M6 - printemps 2003

- Denis Zmirou , 'Pourquoi j'ai démissionné de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE)' - Le Monde, 10/06/2005

- DISCREDIT PUBLIC DE L’OMS - 2007

- 'Bouygues active ses relais pour sauver ses antennes' - Le Canard Enchaîné - 11/03/2009

- 'Une campagne de lobbying intensif' - Le Parisien - 21/03/2008

Robin Des Toits
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