ON ATTEND toujours la fameuse étude Interphone, sans cesse reportée depuis trois ans, pour savoir si oui ou non le téléphone portable est dangereux pour la santé. Mais d’ores et déjà les résultats intermédiaires publiés l’an dernier se sont avérés suffisamment significatifs pour que des recommandations sortent ici ou là le ministère de la Santé en tête sur l’utilisation du portable par les enfants. Au mois de juin, l’appel de cancérologues lancé par le psychiatre David Servan-Schreiber, qui animera ce soir une conférence-débat sur le cancer* a, avec force bruit, une nouvelle fois relancé le débat.
Des alertes récurrentes qui commencent tout de même à mettre la puce à l’oreille des parents. A les entendre, ils essaient de modérer la passion de leurs adolescents pour ces petits engins électroniques, en agitant tant bien que mal le fameux principe de précaution. Comme Isabelle qui, la nuit en allant les embrasser, enlève désormais systématiquement le portable rangé sous leur oreiller ou comme Jessica qui tient bon en refusant d’en offrir un à son fils, élève de 5e .
Des guides sur les bons usages
Les comportements changent… Pourtant, les parents ne semblent pas à une contradiction près, et continuent à acheter des portables à leurs enfants. D’après l’Arcep, 71 % des 12-14 ans sont équipés d’un mobile. Les 15-17 ans sont 94 % dans ce cas et les 18-24 sont 97 %. « Comment faire autrement ? », lancent-ils en haussant les épaules. Du côté des opérateurs, on constate non sans satisfaction l’échec commercial de ces mises en garde. « Selon les derniers chiffres disponibles, la tendance du marché est plutôt à la hausse », indique Eric de Branche, porte-parole de l’Afom, l’Association française des opérateurs mobiles.
Même constat chez Orange. « Il n’y a pas eu de répercussion sur les ventes suite à cet appel », déclare Jean-Bernard Orsoni, porte-parole d’Orange. « Les opérateurs eux-mêmes éditent des guides sur les bons usages du portable. Dans le cadre de l’OMS (Organisation mondiale de la santé),on participe aussi aux études réalisées sur le sujet. » Le temps de communication, quant à lui, n’a pas varié : 2 h 34 par mois au premier trimestre 2008, stable par rapport à 2007. Au sein de l’Afom, les opérateurs ont certes pris l’engagement de ne pas faire d’offre en direction des enfants. Dans la réalité, la publicité orchestrée par les marques vise clairement les jeunes avec des offres spéciales rentrée scolaire ou Noël assorties à des forfaits bloqués…
« Qu’on mène enfin une vraie et sérieuse étude »
DAVID SERVAN-SCHREIBER, psychiatre à l'origine de l'alerte des spécialistes contre le portable
Comment expliquez-vous que, malgré votre appel, les ventes de mobile continuent de progresser ?
David Servan-Schreiber. Parce que la nocivité des ondes des téléphones portables est encore considérée comme controversée. Et cela continuera tant qu'il n'y aura pas une étude sérieuse qui confirme ou infirme cette dangerosité. Toutefois, si les ventes ne baissent pas, les comportements ont changé. Et surtout les scientifiques n'hésitent plus à dire leurs doutes. Aux Etats-Unis, notre appel a eu beaucoup d'effet. Une audition au Congrès américain uniquement sur ce sujet a été organisée le 25 septembre, avec le professeur Ronald Herberman, le cancérologue le plus cité au monde. En France, la Ville de Paris s'apprête à organiser dans le cadre de ses nouvelles réunions de santé publique, dont la première a lieu aujourd'hui, une soirée sur les ondes des téléphones portables.
Pensez-vous que l'étude Interphone, qui devrait être publiée d'ici la fin de l'année, aura impact ?
Non. Les principaux résultats de cette étude ont été publiés, et il ne devrait pas y avoir de neuf dans le rapport final. On a tort d'en attendre quelque chose. Les scientifiques n'arrivent pas à se mettre d'accord. Cette étude ne prendra donc pas position sur la dangerosité ou non des ondes issues des mobiles. La conclusion consistera à dire qu'un tiers des scientifique estime qu'il n'y a aucun danger, qu'un tiers est inquiet, et qu'un tiers ne sait pas. On sera bien avancé !
Quel est le problème ?
C'est un problème de méthodologie. La majorité des enquêtes menées par les 13 pays participant à l'étude Interphone sont négatives et disent qu'il n'y a aucun risque. Or ce sont celles qui se sont intéressées à des gens qui utilisaient un portable depuis moins de dix ans, voire moins de trois ans. Si on avait fait la même chose avec le tabac, il y a fort à parier qu'on aurait conclu qu'il était inoffensif ! Celles, les moins nombreuses, qui se sont penchées sur des utilisateurs de plus de dix ans, durant plus d'une heure par jour, concluent à un doublement des tumeurs du cerveau. Mais vu que les scientifiques n'ont pas tous utilisé la même méthode, on ne peut pas tirer de conclusion unique de cette étude.
Quelle est la solution ?
Mener enfin une vraie et sérieuse étude. On pourrait par exemple comparer les relevés téléphoniques d'utilisateurs avec leur dossier médical, évidemment en préservant l'anonymat. J'ai contacté Orange pour leur soumettre l'idée, mais je n'ai eu aucune nouvelle.
Toutefois, on imagine mal un monde sans portable...
Il ne s'agit pas de ne plus utiliser le portable, mais de bien l'utiliser. Moi-même j'ai un mobile, et je pense qu'en prenant des précautions, comme utiliser l'oreillette et l'interdire aux enfants de moins de 12 ans, on peut prévenir d'éventuels effets nocifs.
Propos recueillis Alexandra Echkenazi
QUE DISENT LES EXPERTS ?
Des dizaines d'équipes d'experts se sont penchés sur la nocivité du portable chez les enfants, mais ils ne sont pas d'accord entre eux, certains établissant un lien avec la survenue précoce de cancer, d'autres la minimisant...
Cancer du cerveau : les premiers résultats d'Interphone montrent un risque de cancer, particulièrement le gliome, significativement accru chez les utilisateurs intensifs du côté de la tête où ils écoutent leur téléphone depuis plus de dix ans.
Hyperactivité : des chercheurs américains et danois ont indiqué, dans la revue « Epidemiology » que les enfants , exposés aux champs électromagnétiques de la téléphonie mobile in utero ou pendant leur enfance ont 80% plus de risques de souffrir de problèmes comportementaux et d'hyperactivité.
Risque accru chez l'enfant : des chercheurs de l'université de Porto Alegre ont montré que le cerveau d'un enfant absorbe plus de 60% de rayonnement que celui d'un adulte. Selon une communication scientifique de la Royal Society de Londres, les adolescents ayant commencé à se servir largement du portable avant 20 ans ont cinq fois plus de risques de développer un cancer du cerveau avant l'âge de 30 ans que ceux qui n'ont pas de portable.
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Voir également :
- 'Utilisation du téléphone mobile et risque de tumeurs bénignes et malignes de la glande parotide - Étude cas-témoin nationale' : Sadetzki et al. - 06/12/2007
- JT France 2 (13h) - Téléphone portable et risque de cancer : l'étude Interphone - 15/10/2008
- DISCREDIT PUBLIC DE L’OMS - 2007
- Dangers du portable: l’appel des médecins : le JDD - 15/06/2008
- 'Le lien entre portables et cancers préoccupe les experts américains ' - AFP - 26/09/2008
- ETUDE : Exposition prénatale et postnatale au téléphone portable et troubles comportementaux chez l'enfant - Juil. 2008
Des alertes récurrentes qui commencent tout de même à mettre la puce à l’oreille des parents. A les entendre, ils essaient de modérer la passion de leurs adolescents pour ces petits engins électroniques, en agitant tant bien que mal le fameux principe de précaution. Comme Isabelle qui, la nuit en allant les embrasser, enlève désormais systématiquement le portable rangé sous leur oreiller ou comme Jessica qui tient bon en refusant d’en offrir un à son fils, élève de 5e .
Des guides sur les bons usages
Les comportements changent… Pourtant, les parents ne semblent pas à une contradiction près, et continuent à acheter des portables à leurs enfants. D’après l’Arcep, 71 % des 12-14 ans sont équipés d’un mobile. Les 15-17 ans sont 94 % dans ce cas et les 18-24 sont 97 %. « Comment faire autrement ? », lancent-ils en haussant les épaules. Du côté des opérateurs, on constate non sans satisfaction l’échec commercial de ces mises en garde. « Selon les derniers chiffres disponibles, la tendance du marché est plutôt à la hausse », indique Eric de Branche, porte-parole de l’Afom, l’Association française des opérateurs mobiles.
Même constat chez Orange. « Il n’y a pas eu de répercussion sur les ventes suite à cet appel », déclare Jean-Bernard Orsoni, porte-parole d’Orange. « Les opérateurs eux-mêmes éditent des guides sur les bons usages du portable. Dans le cadre de l’OMS (Organisation mondiale de la santé),on participe aussi aux études réalisées sur le sujet. » Le temps de communication, quant à lui, n’a pas varié : 2 h 34 par mois au premier trimestre 2008, stable par rapport à 2007. Au sein de l’Afom, les opérateurs ont certes pris l’engagement de ne pas faire d’offre en direction des enfants. Dans la réalité, la publicité orchestrée par les marques vise clairement les jeunes avec des offres spéciales rentrée scolaire ou Noël assorties à des forfaits bloqués…
« Qu’on mène enfin une vraie et sérieuse étude »
DAVID SERVAN-SCHREIBER, psychiatre à l'origine de l'alerte des spécialistes contre le portable
Comment expliquez-vous que, malgré votre appel, les ventes de mobile continuent de progresser ?
David Servan-Schreiber. Parce que la nocivité des ondes des téléphones portables est encore considérée comme controversée. Et cela continuera tant qu'il n'y aura pas une étude sérieuse qui confirme ou infirme cette dangerosité. Toutefois, si les ventes ne baissent pas, les comportements ont changé. Et surtout les scientifiques n'hésitent plus à dire leurs doutes. Aux Etats-Unis, notre appel a eu beaucoup d'effet. Une audition au Congrès américain uniquement sur ce sujet a été organisée le 25 septembre, avec le professeur Ronald Herberman, le cancérologue le plus cité au monde. En France, la Ville de Paris s'apprête à organiser dans le cadre de ses nouvelles réunions de santé publique, dont la première a lieu aujourd'hui, une soirée sur les ondes des téléphones portables.
Pensez-vous que l'étude Interphone, qui devrait être publiée d'ici la fin de l'année, aura impact ?
Non. Les principaux résultats de cette étude ont été publiés, et il ne devrait pas y avoir de neuf dans le rapport final. On a tort d'en attendre quelque chose. Les scientifiques n'arrivent pas à se mettre d'accord. Cette étude ne prendra donc pas position sur la dangerosité ou non des ondes issues des mobiles. La conclusion consistera à dire qu'un tiers des scientifique estime qu'il n'y a aucun danger, qu'un tiers est inquiet, et qu'un tiers ne sait pas. On sera bien avancé !
Quel est le problème ?
C'est un problème de méthodologie. La majorité des enquêtes menées par les 13 pays participant à l'étude Interphone sont négatives et disent qu'il n'y a aucun risque. Or ce sont celles qui se sont intéressées à des gens qui utilisaient un portable depuis moins de dix ans, voire moins de trois ans. Si on avait fait la même chose avec le tabac, il y a fort à parier qu'on aurait conclu qu'il était inoffensif ! Celles, les moins nombreuses, qui se sont penchées sur des utilisateurs de plus de dix ans, durant plus d'une heure par jour, concluent à un doublement des tumeurs du cerveau. Mais vu que les scientifiques n'ont pas tous utilisé la même méthode, on ne peut pas tirer de conclusion unique de cette étude.
Quelle est la solution ?
Mener enfin une vraie et sérieuse étude. On pourrait par exemple comparer les relevés téléphoniques d'utilisateurs avec leur dossier médical, évidemment en préservant l'anonymat. J'ai contacté Orange pour leur soumettre l'idée, mais je n'ai eu aucune nouvelle.
Toutefois, on imagine mal un monde sans portable...
Il ne s'agit pas de ne plus utiliser le portable, mais de bien l'utiliser. Moi-même j'ai un mobile, et je pense qu'en prenant des précautions, comme utiliser l'oreillette et l'interdire aux enfants de moins de 12 ans, on peut prévenir d'éventuels effets nocifs.
Propos recueillis Alexandra Echkenazi
QUE DISENT LES EXPERTS ?
Des dizaines d'équipes d'experts se sont penchés sur la nocivité du portable chez les enfants, mais ils ne sont pas d'accord entre eux, certains établissant un lien avec la survenue précoce de cancer, d'autres la minimisant...
Cancer du cerveau : les premiers résultats d'Interphone montrent un risque de cancer, particulièrement le gliome, significativement accru chez les utilisateurs intensifs du côté de la tête où ils écoutent leur téléphone depuis plus de dix ans.
Hyperactivité : des chercheurs américains et danois ont indiqué, dans la revue « Epidemiology » que les enfants , exposés aux champs électromagnétiques de la téléphonie mobile in utero ou pendant leur enfance ont 80% plus de risques de souffrir de problèmes comportementaux et d'hyperactivité.
Risque accru chez l'enfant : des chercheurs de l'université de Porto Alegre ont montré que le cerveau d'un enfant absorbe plus de 60% de rayonnement que celui d'un adulte. Selon une communication scientifique de la Royal Society de Londres, les adolescents ayant commencé à se servir largement du portable avant 20 ans ont cinq fois plus de risques de développer un cancer du cerveau avant l'âge de 30 ans que ceux qui n'ont pas de portable.
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Voir également :
- 'Utilisation du téléphone mobile et risque de tumeurs bénignes et malignes de la glande parotide - Étude cas-témoin nationale' : Sadetzki et al. - 06/12/2007
- JT France 2 (13h) - Téléphone portable et risque de cancer : l'étude Interphone - 15/10/2008
- DISCREDIT PUBLIC DE L’OMS - 2007
- Dangers du portable: l’appel des médecins : le JDD - 15/06/2008
- 'Le lien entre portables et cancers préoccupe les experts américains ' - AFP - 26/09/2008
- ETUDE : Exposition prénatale et postnatale au téléphone portable et troubles comportementaux chez l'enfant - Juil. 2008