Extraits
Chapitre III
L’expertise et l’évaluation des risques en vue de la prise de décision
L’expertise scientifique en situation d’incertitude
Une expertise pluridisciplinaire et contradictoire
L’incertitude n’est pas synonyme d’absence de connaissances. Il faut au contraire rassembler le maximum de données, de publications et de faits épars. Les situations sont toujours complexes. Or chaque expert ne détient qu’un segment de ce qui doit être reconstruit comme un tout. C’est pourquoi la pluridisciplinarité est indispensable. Elle seule permet de recomposer une réalité que l’abstraction propre à la démarche scientifique a simplifié. L’expertise scientifique fournit certes des connaissances au service de la décision mais, dans les situations de précaution où il opère aux frontières de la connaissance, l’expert ne sait pas. Il énonce, en fonction de ce qu’il sait, une opinion ou une conviction éclairées, mais qui ne sont pas exempte de tout préjugé. Il transgresse donc inéluctablement, les limites de son propre savoir et peut, de ce fait, être d’autant plus facilement contredit par ses pairs. L’expertise a donc pour double caractère d’être pluridisciplinaire et contradictoire . Sa légitimité vient de ce que « la conviction responsable d’hommes reconnus comme compétents dans un domaine donné représente ce dont la société dispose de plus crédible pour fonder une action » (réf P. Roqueplo 1997).
La place des opinions minoritaires et dissidentes
La recherche scientifique progresse souvent par rupture et il n’est pas rare que les auteurs d’une découverte aient été, pour un temps, les tenants d’une opinion minoritaire. S’il est essentiel de faire place aux avis dissidents, une position dissidente n’est évidemment pas une garantie d’exactitude, et chaque scientifique minoritaire n’est pas Galilée……La résolution de cette difficulté se trouve dans la double nature des questions soumises à l’expertise, qui touchent à la fois au fond (la plausibilité de l’hypothèse de risque) et à la méthode (la rigueur des observations qui conduisent à formuler l’hypothèse). Une opinion minoritaire appuyée sur une démarche majoritairement reconnue comme valable doit être retenue. En revanche, une opinion minoritaire fondée sur une démarche non majoritairement acceptée sera sujette à caution . En d’autres termes, au plan de l’expertise scientifique comme des autres procédures de la précaution, la rigueur méthodologique devient une valeur dominante qui peut, et doit être, majoritairement attestée.
Les conditions de l’expertise afsse
Les conditions de l’expertise de l’AFSSE sur les champs électromagnétiques n’ont manifestement pas respecté les critères évoqués par le rapport Kourilsky-Viney. On notera d’ailleurs que dans la liste des principes énoncés par l’AFFSE dans son avis, il n’est pas fait mention du principe d’expertise contradictoire.
L’AFSSE énonce que le choix des experts s’est fait en fonction des publications scientifiques. Manifestement ce critère n’a pas été appliqué à tout le monde.
La commande de la DGS (lettre du 12/11/02 disponible sur le site AFSSE) était pourtant claire :
« Nous vous demandons de faire le point sur :
l’état des connaissances scientifiques….
les programmes d’études et de recherches initiés en France et au plan international sur le sujet dans le but de déterminer si des travaux majeurs sont en cours ou en voie d’être publiés prochainement, qui pourraient conduire à prévoir un nouveau travail de synthèse au cours des années à venir, et dans le but d’identifier les domaines de recherche qui seraient insuffisamment couverts... »
Il est curieux que la DGS n’ait pas réagi à ce manquement grave à sa propre commande.
Les scientifiques français dont les travaux montrent des effets sanitaires ont été écartés du groupe.
Certains ayant participé au 1er groupe d’expertise en ont été écartés lors de la composition du second groupe, alors même que la mission de ce 2nd groupe se situait dans la continuité du 1er(cf. Lettre de mission de la DGS).
Cas de P. Aubineau et de A. Bardou.
D’autres dont les publications dans les revues scientifiques à comité de lecture (Pathologie Biologie, Presse Médicale, Bioelectromagnetics, Journal of Microwave Power Electromagnetic Energy, Comptes Rendus de l’Académie des Sciences…) témoignent pourtant de la compétence en ce domaine n’ont pas été sollicités (cf. témoignage de Pierre Le Ruz sur les travaux du groupe Santini Le Ruz)
Cas de Pierre Aubineau
Le cas de Pierre Aubineau mérite d’être analysé en détail. Celui-ci est chercheur au CNRS à Bordeaux. Membre du premier groupe d’expertise en 2001, il n’a pas été sollicité pour faire partie du 2nd groupe. De plus, il n’a pas été auditionné par le groupe d’expert mais par la seule direction de l’AFSSE. Le groupe d’experts qui avait pourtant auditionné les représentants des opérateurs le 10 janvier (cf. CR sur le site AFSSE) n’a pas voulu auditionner un chercheur, scientifique reconnu, dont les travaux ont porté sur la barrière hémato-encéphalique (43 références sur la base de données Medline depuis 1972, dans des journaux scientifiques de grande notoriété comme le Lancet, le British Journal of Pharmacology, Neuroscience, Experimental Neurology, American Journal of Physiology….).
Pierre Aubineau est responsable du groupe 6 du programme COMOBIO. Le programme COMOBIO (Communication Mobile et Biologie) a été soutenu par le Ministère de la Recherche et le Ministère de l’Economie et des Finances. Il a été validé par le Réseau National de Recherches en Télécommunications (RNRT).
Le projet COMOBIO est consacré à l’étude des effets sanitaires éventuels des téléphones mobiles. Il est composé de huit sous-projets. Deux de ces sous-projets traitent de dosimétrie tandis que les autres concernent des modèles biologiques, (un sur l’homme et cinq sur l’animal).
Extrait :
SP6 : Barrière hémato-encéphalique (BHE) et migraine
Responsable : P. Aubineau ; Partenaire : Université Bordeaux II
Le but est d’estimer comment la BHE est affectée par les ondes. Des études existent de par le monde, mais restent controversées. Dans le cas où la perméabilité de la BHE augmente, des substances passent du sang vers le parenchyme, provoquant une inflammation. L’injection d’un traceur sanguin permet de suivre le phénomène.
Un autre objectif est de savoir si, au niveau de la dure-mère, ce phénomène provoque également une inflammation, source éventuelle de céphalée.
Il est pour le moins curieux que l’entrevue avec la direction de l’AFSSE ait eu lieu le 21 mars, jour où les experts rendaient par ailleurs leur rapport et que la direction de l’AFSSE ait pu accepter une procédure discriminatoire à l’encontre de P. Aubineau.
Discussion P. Aubineau /Direction AFSSE
Le compte-rendu de cette audition (Direction Afsse/P. Aubineau) est disponible sur le site de l’AFSSE et s’avère très éclairant sur les critères utilisés par ailleurs au cours de l’expertise pour caractériser les effets expérimentaux observés et écarter les effets positifs au motif qu’il s’agit d’effets biologiques.
S’agissant des effets mis en évidence par P. Aubineau, celui conteste qu’il s’agisse de simples fluctuations biologiques :
Résultats du projet COMOBIO :
France Telecom a effectué une modélisation pour évaluer le niveau d’exposition des rats utilisés dans l’étude de P. Aubineau. Celui-ci s’est aperçu à cette occasion d’une erreur d’un facteur 3 de la part de France Telecom. Le niveau d’exposition est bien le niveau auquel sont exposés les utilisateurs.
« On observe une progression de l’ouverture de la barrière hémato-céphalique des rats pour des DAS compris entre 0,5 et 3 Watts/kg »
La phase post COMOBIO
« On observe un bouleversement complet de la synthèse des protéines dans le cerveau pour un DAS moyenné sur le cerveau de 1,5 Watt/kg et une durée de 40 minutes, selon les procédés de dosimétrie mis au point par France Telecom. ».
Conclusion
« Il me semble donc possible de mettre en garde contre un usage immodéré des téléphones portables, tout risque n’étant pas exclu : en témoignent l’ouverture de la barrière hémato-céphalique et l’augmentation de la synthèse des protéines de choc thermique, qui est certainement liée à cette ouverture puisque ces mécanismes interviennent dans le stress cellulaire ou l’inflammation…
…En théorie, cela signifierait qu’il existe une activation cellulaire considérable non observable dans les études comportementales….
…On peut en déduire une influence probable sur les gènes, en se gardant bien d’évoquer une quelconque mutation, mais plutôt une influence épigénétique susceptible de provoquer une modification de l’activité de certains gènes….
Dans la discussion, la question de la signification de ces effets revient : s’agit-il d’effets biologiques ou pathologiques ?
Extraits
« P. Aubineau
La seule chose que l’on puisse effectivement définir comme pathologique concerne l’ouverture de la barrière hémato-céphalique et la perméabilisation vasculaire de la dure-mère : ces deux phénomènes sont considérés comme pathologiques dans tous les cas puisqu’ils engendrent le passage de substances indésirables et la formation inévitable d’œdème…
Mme Froment Védrine :
Ce qui m’inquiète est l’utilisation faite par les journaux de votre discours scientifique : ces constatations ne peuvent aller ni dans un sens, ni dans l’autre.
P. Aubineau
Elles s’orientent au contraire dans un sens très précis : il y a de grandes chances qu’un risque existe, à tout le moins pour certaines personnes. Je constate qu’il se passe des phénomènes anormaux, et maintiens que l’ouverture de la barrière hémato-céphalique relève du pathologique et non du biologique . Il en va de même lorsque la synthèse des protéines de choc thermique augmente de manière inconsidérée : ceci reflète une attitude stressée et un dysfonctionnement cellulaire.
On mesure l’enjeu de cette caractérisation à la lecture de la brochure éditée par le Ministère de la Santé « Téléphones Mobiles . Santé et Sécurité » (disponible sur le site de l’AFSSE).
Extraits de la brochure « Téléphones Mobiles . Santé et Sécurité »
« Sur les effets thermiques et biologiques.
A des niveaux très élevés, les champs de radiofréquences sont susceptibles de provoquer des effets thermiques (dus à l’échauffement ). Ayant une puissance faible, les champs émis par les téléphones mobiles, comme par bien d’autres sources telles que leurs antennes relais ou les émetteurs de radiodiffusion, ne permettent pas d’observer d’effets thermiques.
En revanche, ils sont susceptibles de constater des effets biologiques dont les mécanismes sont encore inconnus. Le fait de constater un effet biologique ne signifie pas que celui-ci présente un caractère menaçant pour la santé. Il s’agit souvent de la simple manifestation d’une régulation spontanée du corps face à une stimulation extérieure : ainsi, la peau rougit au contact du froid. »
A l’évidence, les effets observés par P. Aubineau ne sont pas de même nature que la simple rougeur liée au froid…
Source : http://sciencescitoyennes.org/spip.php?article45