(POUZET/SIPA)
Si l'Anses fait preuve d'une grande prudence dans la présentation de son rapport, elle appelle tout de même à beaucoup de précaution avec les ondes.
Comment présenter en toute liberté un rapport sur les effets des expositions aux ondes quand le sujet est aussi polémique et les fronts aussi radicalement opposés ? Tout est affaire de communication. Mardi 15 octobre, Marc Mortureux, le directeur général de l’ANSES (Agence nationale de Sécurité sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) a rendu public le rapport "Radiofréquences et santé". Très attendu, ce rapport est une revue du millier d’études scientifiques publiées dans le monde sur le sujet depuis avril 2009.
La dernière présentation en 2009 avait donné lieu à de vives polémiques et abouti au changement de dénomination de l’Agence (préalablement l’Affset) et à la démission de son directeur. L’Anses a donc cette fois décidé de faire preuve d’une grande prudence dans sa présentation. Trop au goût des associations comme Robin des Toits ou Priartem (Pour une réglementation des implantations d’Antennes relais et de Téléphone Mobile). Mais pour qui veut se donner la peine de lire entre les lignes, les signaux sont assez clairs.
On ne pouvait pas s’attendre à ce que l'Anses disent : "les ondes tuent" comme on peut lire sur les paquets de cigarettes "fumer tue". Le sujet des ondes, qui touchent plusieurs disciplines (physique, biologie, etc) est plus complexe et le recul scientifique pas encore assez long. L'Anses a donc dit que l’actualisation des données scientifiques "ne met pas en évidence d’effet sanitaire avéré". Et pourtant, dès la ligne suivante, elle met en avant des études démontrant différents effets biologiques des champs électromagnétiques chez l’Homme ou l’animal. Les effets sur le sommeil et la fertilité mâle ont notamment été démontrés par l’Ineris (Institut National de l’environnement industriel et des risques). Et enfin l’Anses écrit noir sur blanc que "plusieurs publications évoquent une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs de téléphone portable".
Babyphones, tablettes, consoles sont aussi concernés
Beaucoup de journalistes présents lors de cette conférence de presse ont cru avoir mal entendu…Alors pour en avoir le cœur net, l’une d’entre eux a demandé à Marc Mortureux ce que signifiait "long terme" et "utilisateurs intensifs". Sa réponse : "toute personne qui a utilisé le portable à l’oreille 30 minutes par jour pendant vingt à vingt-cinq ans"… Autrement dit, nous tous. Ou en tout cas, tous ceux qui ont besoin d’un téléphone portable dans le cadre de leur travail. Dominique Gombert, directeur de l’évaluation des risques de l’Anses, a rappelé que l’usage du téléphone portable évoluait (On fait plus de SMS) et que les constructeurs ont fait des efforts pour réduire le DAS (Débit d’absorption spécifique) qui mesure la quantité d’énergie absorbée par les tissus organiques sous l’effet des ondes électromagnétiques émises par un appareil. Il est recommandé que le DAS ne dépasse pas 2 Watt/ kilogramme. Ces données sont inscrites sur tous les téléphones. En revanche, elles ne sont pas du tout indiquées sur tous les autres appareils de la vie quotidienne émettant des ondes comme les téléphones sans fil (DECT), le Wi-Fi, les babyphone, les tablettes, les consoles de WI. C’est pourquoi l’Anses a recommandé que tous ces "appareils communicants", comme on les appelle désormais, affichent clairement leur DAS. Le demanderait-elle s’il n’y avait aucun danger ? Non. D'ailleurs, l’Anses préconise, tout comme en 2009, de limiter les expositions aux radiofréquences avec des recommandations (qui sont tout à fait en ligne avec celles du "Nouvel Observateur"). La façon de les formuler est là encore plus "politique". Et c’est ce qui exaspère les associations.
La 4G va augmenter le niveau d'exposition
Ainsi, Etienne Cendrier, porte-parole de Robin des Toits, estime que "l’Anses aurait dû carrément recommander l’interdiction pure et simple des téléphones portables et autres tablettes pour les enfants de moins de six ans. Une loi a été votée dans ce sens le 12 juillet 2010 mais n’a jamais été promulguée… On sait que le cerveau des enfants est particulièrement fragile tant qu’il n’est pas définitivement formé, mais cela n’empêche pas M. Peillon de lancer son plan numérique dans les écoles". Dans le langage plus administrativo-politique de l’Anses, cela donne la recommandation suivante : "réduire l’exposition des enfants en incitant à un usage modéré du téléphone mobile". Présidente du comité d’experts chargé de faire cette revue scientifique, Martine Hours a regretté, lors de cette conférence de presse, qu’il n’y ait pas davantage d’études sur les enfants.
Sur les antennes-relais, l’Anses a opté pour un discours tout aussi précautionneux. Il est pris entre le marteau et l’enclume. D'un côté, les associations qui s’inquiètent de la recrudescence d’appels au secours d’électrohypersensibles (EHS) et, de l’autre, les opérateurs qui comptent sur la 4G pour se refaire une santé économique après l’arrivée du trublion Free dans le secteur du mobile. Dans son communiqué, on peut donc lire que "le développement des nouvelles infrastructures de réseaux de téléphonie mobile fassent l’objet d’études préalables en matière de caractérisation des expositions et que les conséquences d’une éventuelle multiplication du nombre d’antennes-relais dans le but de réduire les niveaux d’expositions environnementaux fassent l’objet d’un examen approfondi". Le décryptage : théoriquement, il faudrait vérifier avant qu’un opérateur n’installe une nouvelle antenne 4G que le niveau d’exposition n’explose pas. Selon les spécialistes, le déploiement de la 4G suscitera en moyenne 50% d’augmentation du niveau d’exposition car les opérateurs devront pendant un certain temps laisser allumer les autres technologies 2G et 3G avant de tout faire basculer en 4G.
Suffisamment de signaux pour appliquer le principe de précaution
Les associations peuvent légitimement se sentir flouées car elles exigent depuis longtemps cet "examen approfondi". En vain. De même elles demandent que le principe de précaution soit appliqué dans les écoles et les crèches. Mais Fleur Pellerin, ministre de l’innovation et de l’économie numérique avait balayé cette demande en évoquant des "peurs irrationnelles". Aujourd'hui, l’Anses recommande de "documenter les situations des installations existantes conduisant aux expositions les plus fortes du public et d’étudier dans quelle mesure ces expositions peuvent être techniquement réduites". Seule "petite" victoire : le cas des EHS est implicitement reconnu puisque l’Anses a décidé d’y consacrer un rapport à part entière en 2014.
La balle est aujourd'hui dans le camp des pouvoirs publics. Les ministres de la santé, de l’écologie… et du numérique doivent prendre leur responsabilité. Et ne pas faire semblant de ne pas comprendre de qui est écrit dans ce rapport, sans quoi ils devront, peut-être dans dix ans ou dans vingt ans, rendre des comptes sur leur pseudo-cécité. A défaut de "preuves avérées", comme les appelle l’Anses, il y a suffisamment de signaux pour appliquer des principes de précaution, au moins en ce qui concerne les personnes les plus fragiles.
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Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20131015.OBS1205/danger-des-ondes-un-rapport-plus-alarmiste-qu-il-n-y-parait.html
Comment présenter en toute liberté un rapport sur les effets des expositions aux ondes quand le sujet est aussi polémique et les fronts aussi radicalement opposés ? Tout est affaire de communication. Mardi 15 octobre, Marc Mortureux, le directeur général de l’ANSES (Agence nationale de Sécurité sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) a rendu public le rapport "Radiofréquences et santé". Très attendu, ce rapport est une revue du millier d’études scientifiques publiées dans le monde sur le sujet depuis avril 2009.
La dernière présentation en 2009 avait donné lieu à de vives polémiques et abouti au changement de dénomination de l’Agence (préalablement l’Affset) et à la démission de son directeur. L’Anses a donc cette fois décidé de faire preuve d’une grande prudence dans sa présentation. Trop au goût des associations comme Robin des Toits ou Priartem (Pour une réglementation des implantations d’Antennes relais et de Téléphone Mobile). Mais pour qui veut se donner la peine de lire entre les lignes, les signaux sont assez clairs.
On ne pouvait pas s’attendre à ce que l'Anses disent : "les ondes tuent" comme on peut lire sur les paquets de cigarettes "fumer tue". Le sujet des ondes, qui touchent plusieurs disciplines (physique, biologie, etc) est plus complexe et le recul scientifique pas encore assez long. L'Anses a donc dit que l’actualisation des données scientifiques "ne met pas en évidence d’effet sanitaire avéré". Et pourtant, dès la ligne suivante, elle met en avant des études démontrant différents effets biologiques des champs électromagnétiques chez l’Homme ou l’animal. Les effets sur le sommeil et la fertilité mâle ont notamment été démontrés par l’Ineris (Institut National de l’environnement industriel et des risques). Et enfin l’Anses écrit noir sur blanc que "plusieurs publications évoquent une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs de téléphone portable".
Babyphones, tablettes, consoles sont aussi concernés
Beaucoup de journalistes présents lors de cette conférence de presse ont cru avoir mal entendu…Alors pour en avoir le cœur net, l’une d’entre eux a demandé à Marc Mortureux ce que signifiait "long terme" et "utilisateurs intensifs". Sa réponse : "toute personne qui a utilisé le portable à l’oreille 30 minutes par jour pendant vingt à vingt-cinq ans"… Autrement dit, nous tous. Ou en tout cas, tous ceux qui ont besoin d’un téléphone portable dans le cadre de leur travail. Dominique Gombert, directeur de l’évaluation des risques de l’Anses, a rappelé que l’usage du téléphone portable évoluait (On fait plus de SMS) et que les constructeurs ont fait des efforts pour réduire le DAS (Débit d’absorption spécifique) qui mesure la quantité d’énergie absorbée par les tissus organiques sous l’effet des ondes électromagnétiques émises par un appareil. Il est recommandé que le DAS ne dépasse pas 2 Watt/ kilogramme. Ces données sont inscrites sur tous les téléphones. En revanche, elles ne sont pas du tout indiquées sur tous les autres appareils de la vie quotidienne émettant des ondes comme les téléphones sans fil (DECT), le Wi-Fi, les babyphone, les tablettes, les consoles de WI. C’est pourquoi l’Anses a recommandé que tous ces "appareils communicants", comme on les appelle désormais, affichent clairement leur DAS. Le demanderait-elle s’il n’y avait aucun danger ? Non. D'ailleurs, l’Anses préconise, tout comme en 2009, de limiter les expositions aux radiofréquences avec des recommandations (qui sont tout à fait en ligne avec celles du "Nouvel Observateur"). La façon de les formuler est là encore plus "politique". Et c’est ce qui exaspère les associations.
La 4G va augmenter le niveau d'exposition
Ainsi, Etienne Cendrier, porte-parole de Robin des Toits, estime que "l’Anses aurait dû carrément recommander l’interdiction pure et simple des téléphones portables et autres tablettes pour les enfants de moins de six ans. Une loi a été votée dans ce sens le 12 juillet 2010 mais n’a jamais été promulguée… On sait que le cerveau des enfants est particulièrement fragile tant qu’il n’est pas définitivement formé, mais cela n’empêche pas M. Peillon de lancer son plan numérique dans les écoles". Dans le langage plus administrativo-politique de l’Anses, cela donne la recommandation suivante : "réduire l’exposition des enfants en incitant à un usage modéré du téléphone mobile". Présidente du comité d’experts chargé de faire cette revue scientifique, Martine Hours a regretté, lors de cette conférence de presse, qu’il n’y ait pas davantage d’études sur les enfants.
Sur les antennes-relais, l’Anses a opté pour un discours tout aussi précautionneux. Il est pris entre le marteau et l’enclume. D'un côté, les associations qui s’inquiètent de la recrudescence d’appels au secours d’électrohypersensibles (EHS) et, de l’autre, les opérateurs qui comptent sur la 4G pour se refaire une santé économique après l’arrivée du trublion Free dans le secteur du mobile. Dans son communiqué, on peut donc lire que "le développement des nouvelles infrastructures de réseaux de téléphonie mobile fassent l’objet d’études préalables en matière de caractérisation des expositions et que les conséquences d’une éventuelle multiplication du nombre d’antennes-relais dans le but de réduire les niveaux d’expositions environnementaux fassent l’objet d’un examen approfondi". Le décryptage : théoriquement, il faudrait vérifier avant qu’un opérateur n’installe une nouvelle antenne 4G que le niveau d’exposition n’explose pas. Selon les spécialistes, le déploiement de la 4G suscitera en moyenne 50% d’augmentation du niveau d’exposition car les opérateurs devront pendant un certain temps laisser allumer les autres technologies 2G et 3G avant de tout faire basculer en 4G.
Suffisamment de signaux pour appliquer le principe de précaution
Les associations peuvent légitimement se sentir flouées car elles exigent depuis longtemps cet "examen approfondi". En vain. De même elles demandent que le principe de précaution soit appliqué dans les écoles et les crèches. Mais Fleur Pellerin, ministre de l’innovation et de l’économie numérique avait balayé cette demande en évoquant des "peurs irrationnelles". Aujourd'hui, l’Anses recommande de "documenter les situations des installations existantes conduisant aux expositions les plus fortes du public et d’étudier dans quelle mesure ces expositions peuvent être techniquement réduites". Seule "petite" victoire : le cas des EHS est implicitement reconnu puisque l’Anses a décidé d’y consacrer un rapport à part entière en 2014.
La balle est aujourd'hui dans le camp des pouvoirs publics. Les ministres de la santé, de l’écologie… et du numérique doivent prendre leur responsabilité. Et ne pas faire semblant de ne pas comprendre de qui est écrit dans ce rapport, sans quoi ils devront, peut-être dans dix ans ou dans vingt ans, rendre des comptes sur leur pseudo-cécité. A défaut de "preuves avérées", comme les appelle l’Anses, il y a suffisamment de signaux pour appliquer des principes de précaution, au moins en ce qui concerne les personnes les plus fragiles.
ANSES : Radiofréquences et santé - Mise à jour de l’expertise (Rapport d’expertise collective) publié par Fil_actu
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Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20131015.OBS1205/danger-des-ondes-un-rapport-plus-alarmiste-qu-il-n-y-parait.html